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tude ; car s’ils n’appartiennent pas à l’escadre japonaise, ils font partie de la flotte alliée des puissances de l’Occident avec lesquelles le taïkoun est en relation d’amitié et de bons offices.

« Va donc en paix ! » semble dire l’artiste à son souverain. « Poursuis ta route et ton œuvre civilisatrice ; rivalise avec l’Occident, et fais-nous part de sa science et de son industrie. Tu n’as rien à redouter du pouvoir suranné qui se survit encore dans la vieille Miako. Les Kamis, qui ont fait la gloire de l’ancien Japon, étendent eux-mêmes une main protectrice sur ce navire autrefois étranger, œuvre merveilleuse du génie moderne qui se naturalise enfin parmi nous. Le vénérable patron de nos pays de rizières, Inari Daïmiôdjin, salue l’aurore de la nouvelle ère nationale, et il envoie les renards blancs, ses rusés et prudents serviteurs, balayer avec le goupillon céleste toute maligne influence qui s’interposerait en ton chemin. Tous les dieux de l’antique Nippon, tous ses héros traditionnels, sont désormais à tes ordres et te font cortége du haut du ciel pour honorer et bénir ton retour dans la nouvelle capitale de l’empire. »

L’artiste nous montre, en effet, à la gauche d’Inari, dans un encadrement de nuages, le vigilant factionnaire de la porte du ciel, Konpira, laissant sortir et s’avancer au-dessus du steamer du taïkoun, tout un groupe de génies tutélaires, portant, pour la plupart, cette antique coiffure nationale qui ressemble à une petite mître ornée de ses fanons. L’on remarque parmi eux Katori et Kashima, qui ont fait pénétrer la gloire et la puissance des petits-fils du soleil jusque dans les ténèbres du pays des Yébis, au nord de l’ancien empire des huit grandes îles. Ils sont accompagnés du digne fils de l’héroïne Zingou, la glorieuse impératrice qui a fait la conquête de la Corée : c’est le patron des braves, Hatchiman, qui n’a pu se séparer au ciel ni de son coursier ni de son éventail de guerre ; on lui rend les hommages divins dans les cités les plus célèbres de l’empire, et ses temples rivalisent avec les plus merveilleux édifices du culte de Bouddha. À sa suite, Sokoïmeï, le dompteur de diablotins, est le patron des jeunes garçons et l’une des idoles favorites des fêtes populaires. Enfin, voici un dieu qui, pour être venu de l’Inde, n’en a pas moins une place d’honneur dans le Panthéon du Nippon ; c’est l’Arès des Grecs, le Mars des Romains, au Japon Marisiten, le dieu des batailles. Monté sur un sanglier lancé en pleine carrière, il est prêt à combattre quiconque oserait s’attaquer à son moderne protégé. Or, c’est précisément ce qui vient d’arriver, fort à propos pour confirmer l’interprétation qui précède.

Retour du taïkoun à Yedo. — Fac-simile d’un dessin japonais.

L’un des plus puissants seigneurs féodaux du Japon, le prince de Nagato, a tenté de restaurer le mikado dans son ancienne omnipotence théocratique, et aussitôt, le taïkoun menacé s’est transporté, à la tête de ses forces de terre et de mer, sur le théâtre de la rébellion.

Quelle que soit la durée de la crise que traverse actuellement le Japon, il est permis de conjecturer qu’elle se terminera par la constitution définitive de cet empire en une monarchie pure, affranchie de toute suprématie sacerdotale.

A. Humbert.

(La suite à une autre livraison.)