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fié d’abord sur une plage sud de l’Amazone appelée Pacatapaxipuru, le transférèrent plus tard dans le canal (moyuna) d’Ehuirateüa dont on peut retrouver la trace sur la carte espagnole de Simon Bolivar. D’Ehuirateüa, devenu par corruption Eviratuba, le village-mission passa sur une plage nord de l’Amazone à l’entrée du ruisseau Aruti, abandonna bientôt ce site pour revenir au sud, puis remontant du sud au nord, vint s’installer dans le voisinage de la rivière Tunati dont les Brésiliens ont fait Tunantins. C’est de ce lieu, site de sa cinquième transformation, que le village vagabond traversant de nouveau le fleuve, s’établit sur sa rive droite, à l’endroit où nous le voyons aujourd’hui. Délos, de flottante mémoire, n’erra ni mieux, ni plus longtemps à travers les Cyclades. Les moustiques, au dire des uns, la petite vérole, selon les autres, furent la cause de ces changements successifs.

Lors de la fondation du premier village de Castro de Avelans, les Indiens qui composaient sa population étaient les Umaüas dont nous avons parlé précédemment. Quelques années plus tard le chiffre de ces indigènes ayant considérablement baissé, on leur adjoignit des Indiens Yuris, Passés, Cahuhuicenas, amenés de l’intérieur de la rivière Iça avec la douceur et l’urbanité qui distinguaient les conquérants de cette époque. Le résultat du rapprochement immédiat de ces diverses tribus, en guerre à l’état de nature et contraintes de fusionner au nom du roi de Portugal, fut l’assassinat du chef de la Mission, un carme appelé Mathias Deniz ; le village voyageur en était alors à sa seconde étape.

Si les divers déplacements de Castro de Avelans devenu Matura, ne suffisaient pas à illustrer ce village entre tous ses voisins, la docte attestation d’un de ses régulateurs spirituels au sujet de l’existence des Indiens porte-queues de la rivière Jurua, compléterait ses quartiers de noblesse.


Végétation des rives du Jandiatuba.

Ces Caudaphores que la rumeur et la malignité publiques affirmaient être le produit monstrueux de l’union de Coatas roux[1] avec des femmes de race Tapuya, séduites autrefois par des mauvais sujets de l’espèce simiane, ces Caudaphores, disons-nous, en étaient venus avec le temps à former une tribu nombreuse qui se donnait le nom d’Uginas, mais que les riverains de l’Amazone appelaient par mépris Coatas-Tapuyas. Vers l’année 1750 et à l’occasion d’une chasse faite à ces hommes-singes dans l’intérieur du Jurua, on parla tant et si bien de leur caste jusque-là peu connue, que les plus croyants et les plus sceptiques d’entre les Portugais-Brésiliens, s’émurent de la chose et suivant leur tempérament prirent parti pour ou contre. Les Missionnaires même ne dédaignèrent pas d’apprécier le fait et d’en conclure à leur manière.

Un vicaire général de l’Amazone, José Monte de Noroñha à qui l’on doit un guide ou roteiro de la contrée, rompit une lance en faveur des Indiens Caudaphores du Jurua. Ce vicaire bel esprit allégua publiquement, — l’allégation écrite est sous nos yeux, — qu’il ne voyait rien d’impossible à ce qu’un homme fût pourvu d’une queue.

Une déclaration écrite et signée par le propre vicaire de Castro de Avelans au sujet des Indiens Uginas, qu’il disait avoir vus, de ses propres yeux vus, ce qui s’appelle vus, réduisit à néant le grand parti des incrédules et acquit au phénomène caudal l’autorité de la chose jugée. La déclaration du digne prêtre est faite en portugais et nous nous empressons de la traduire pour l’édification de nos lecteurs.

« Moi, Fray José de Santa Teresa Ribeiro, de l’ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, certifie et jure en ma qua-

  1. C’est l’Ateles ruber des naturalistes.