Page:Le Tour du monde - 15.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnoire, il est ombragé par des palmiers nains, de frêles bambous et des aroïdées d’un effet ravissant. Le mur en pisé qui l’entoure est un peu disjoint par le temps, un peu écroulé même ; mais, dans ses fentes et sur ses ruines, la nature, en fée intelligente, a planté des mousses, des fougères, des adianthées d’un vert si tendre, d’un galbe si exquis, que, malgré la fraîcheur glaciale de l’eau, nous serions resté vingt-quatre heures accroupi et rêvant devant ces végétations délicates, si les cris du Tapuya qui portait notre linge et s’ennuyait à nous attendre n’avaient brutalement interrompu nos rêveries.

À trois lieues de São Pablo et sur la rive droite de l’Amazone, nous relevâmes l’embouchure de la rivière Jandiatuba dont les eaux noires communiquent, en temps de crue, avec le Tacuaby, affluent de droite du Javari. Le nom de Jandiatuba vient de deux mots de l’idiome Tupi, Yandia-Teüa, qui signifient abondant en Yandias[1]. Le jour, qui tirait à sa fin, nous empêche de vérifier, à l’aide d’hameçons convenablement amorcés, si cette rivière abondait en Yandias, ou si son étymologie n’était, comme tant d’autres, qu’un mot vide de sens.

Le Jandiatuba, dont l’embouchure mesure quatre cent deux mètres de largeur d’une rive à l’autre, est habité dans l’intérieur par quelques familles d’Indiens Culinos et de Huaraycus. Les Impetiniris de la caste desquels le lecteur a vu un échantillon arriver avec nous à Sarayacu, les Impetiniris, amis et alliés des Pucapacuris, des Huatchipayris, des Tuyneris, des Siriniris et autres castes aux noms en Ris, qui occupent les vallées péruviennes de l’Est jusqu’à Apolobamba, les Impetiniris vivent épars autour des sources du Jandiatuba encore inexplorées.


Embouchure du Jandiatuba (eau noire).

Cette rivière, d’un cours très-sinueux, ne compte que deux îles entre le lieu de sa naissance et son embouchure. À quelques lieues de son confluent avec l’Igarapé Mutuanateüa, lequel en temps de crue le fait communiquer avec le Jutahy[2], le Jandiatuba n’est plus qu’un ruisseau vulgaire qui va se perdre sous le couvert des bois.

Surpris par la nuit en mesurant l’embouchure de ce tributaire de l’Amazone, nous remontâmes son cours pendant vingt minutes, et cela pour n’être pas dévorés vifs par les moustiques. Les plages du grand fleuve étaient noyées par une crue récente, et, forcés de rester dans notre embarcation, nous eussions passé sur les eaux blanches une nuit affreuse, tandis que celle que nous passâmes sur les eaux noires du Jandiatuba fut à peu près paisible.

Le lendemain, à deux lieues du Jandiatuba, nous vîmes s’ouvrir, à notre droite, la bouche noire de l’Aucuruy, petite rivière qu’habitaient autrefois des Indiens de ce nom. Dépossédés de leur territoire par leurs voisins les Ticunas, les Aucuruys émigrèrent vers le Sud et disparurent un beau jour sans laisser de traces. L’Igarapé Aucuruy, dont on a fait Acuruy, est entouré de lacs d’eau noire, dans lesquels il écoule à chaque crue le trop plein de son lit. Il n’a d’autre valeur hydrographique que de communiquer avec le Jandiatuba que nous laissons derrière nous.

À dix heures nous gravissions l’escalier branlant qui sert de débarcadère au village de São José de Matura.

Avant d’emprunter le nom de Matura à un ruisseau qui l’avoisine, ce village avait nom : Castro de Avelans. Ses fondateurs les Carmes portugais qui l’avaient édi-

  1. Le yandia est un poisson de la famille des silures, à robe grisâtre, rayée de brun. Sa longueur varie de deux pieds à trente pouces ; il est assez commun dans les eaux du Haut-Amazone.
  2. Pour compléter les indications que nous donnons ici, le lecteur n’a qu’à jeter les yeux sur les cartes partielles qui accompagnent notre texte.