Page:Le Tour du monde - 15.djvu/170

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il se repose de ces luttes émouvantes dans les paisibles travaux des champs. Comme Virgile

      … Il sait sous quel signe
Il faut ouvrir la terre, et marier la vigne.

Après tout, l’agriculture et l’exploitation des mines, la culture du sol et du sous-sol, ne méritent-elles pas d’aller ensemble comme deux sœurs ? Ces deux arts ne sont-ils pas la source de toute richesse territoriale, ne créent-ils pas seuls les matières premières indispensables à toute industrie ?

Derrière les arbres du domaine du Curier disparaît la voie ferrée d’Épinac, qui partant de la houillère, en amène les charbons au port de Pont-d’ouche, sur le canal de Bourgogne. Cette voie occupe une place glorieuse dans l’histoire des chemins de fer français : c’est la troisième en date des voies ferrées construites dans notre pays. Elle a été établie en 1830, et ne compte comme aînées que celles de Saint-Étienne au port d’Andrézieux sur la Loire, et de Saint-Étienne à Rive-de-Gier. Ces deux railways ont précédé celui d’Épinac, le premier de quatre ans, le second d’un an seulement. Ce n’était alors que pour transporter la houille, matière lourde et de peu de prix, que l’on faisait en France des chemins de fer. C’était même, pour ce but exclusif, et dans les houillères britanniques, que le railway avait pris naissance. En 1834, un homme d’un esprit supérieur pouvait encore, avec bonne fui, exprimer l’opinion que le réseau projeté de Paris sur la province, était à peu près inutile, et ne servirait qu’à amuser les curieux accourus au passage de la locomotive. Que ces temps sont près de nous, et qu’ils semblent loin à cause des résultats obtenus ! Ce n’est plus le charbon, c’est le voyageur qui est devenu le meilleur colis des chemins de fer, et aujourd’hui la voie ferrée est partout. C’est maintenant aux lieux où elle a été pour la première fois établie, et où elle est restée telle qu’on l’avait faite, qu’elle est devenue une curiosité, tant le progrès a été rapide, et si profondes ont été les transformations qu’a subies l’invention nouvelle !

Sur le chemin de fer d’Épinac à Pont-d’Ouche, dont la longueur est de vingt-huit kilomètres, on rencontre des rampes, des montées très-roides, comme dans les premiers chemins de fer, cousins des routes de terre. On y a construit ce qu’on nomme des plans inclinés, en souvenir du fameux plan de Galilée. Une machine à vapeur fixe, établie au sommet du plan, hisse le train au moyen d’un câble qui s’enroule sur un cabestan, et à la descente le train reprend seul sa course par la force de la gravité.

Le chemin de Pont-d’ouche traverse des sites intéressants. À Yvry, à Montceau, sont établis les plans inclinés dont il vient d’être fait mention. Ces points sont remarquables dans la géographie de la France. C’est par là que passe la ligne divisoire entre les eaux qui se rendent à l’Océan et celles qui se rendent à la Méditerranée. C’est cette même ligne de faîte qu’un peu plus loin le tunnel de Blaisy, sur le chemin de fer de Paris à Lyon, franchit par un souterrain de plus d’une lieue.

Sur le plateau qui sépare les deux plans inclinés du chemin de fer d’Épinac, passe la grande courbe idéale. Les Romains ont-ils eu connaissance de cette ligne, ou ont-ils voulu seulement témoigner sur ce lieu de quelque rencontre victorieuse des cohortes césariennes avec les bataillons éduens ? Toujours est-il que ce point porte le nom de Cussy-la-Colonne, parce qu’on y a trouvé une colonne romaine qu’on a remise debout. Une inscription, rédigée dans cette langue franco-latine dont nous ne pouvons parvenir à nous défaire, nous apprend que le vieux monument, antiquissimum hoc monumentum, ruiné par l’injure du temps, a été rétabli dans son premier état par M. Charles d’Arbaud, préfet de la Côte-d’Or, Collis Aurei præfectus, et sous l’empire de Charles X, imperante Carolo X : tout cela en l’an de grâce 1825, anno salutis M.D.CCC.XXV, comme dit l’inscription. Quel étonnant mélange de la langue de Cicéron et du patois administratif ! Pauvres Romains ! est-ce parce que vous nous avez vaincus, que nous traitons si mal votre beau et harmonieux langage ? Ces lieux sont encore pleins de vos merveilleux exploits et de vos grands souvenirs, mais les fils de Brennus et de Vercingétorix ne se sentiront jamais pris, devant la colonne de Cussy, de ce fiévreux mouvement d’orgueil qui les saisit parfois devant une autre colonne plus fameuse et toute française.

Passons, et descendons à Bligny. Nous voici en pleine Bourgogne. Le vin du terroir suffirait à nous le rappeler, si nous ignorions la géographie locale. Mais est-ce bien le cas de goûter aux crus secondaires du pays, quand nous avons à notre portée tous les crus fameux de Mercurey, Volnay, Pomard, Beaune, Nuits, Vougeot, Chambertin ? Ils sont là tous, à notre droite, jalonnés sur une ligne parallèle de celle que nous suivons, et distante seulement de quinze à vingt kilomètres. Salut donc aux crus généreux et chauds de la vieille Bourgogne, salut aussi à Pont-d’ouche, terme de notre voyage sur la voie ferrée. C’est là que passe le canal de Bourgogne, reliant l’Yonne à la Saône, les eaux de la Seine à celles du Rhône, le nord de la France au midi, l’Océan à la Méditerranée. Ce que Dieu avait séparé, l’homme l’a réuni, ou plutôt le génie humain a fait disparaître les obstacles imposés par la nature, et ces obstacles, la nature les avait peut-être créés à dessein. Si elle avait tout fait pour nous, si elle nous avait ouvert toutes les voies, quel mérite aurions-nous à réussir ? C’est dans la lutte qu’on se retrempe, et c’est au milieu des difficultés que s’engendrent les plus grandes choses.

Le rivage de Pont-d’Ouche, comme on l’appelle, est le port du canal de Bourgogne qui dessert la houillère d’Épinac. De là, les charbons se rendent à Dijon, à Pouilly, le long du canal ou l’on fabrique un ciment célèbre, et enfin en mille autres lieux, nous dirait l’agent de la mine à Port-d’ouche s’il voulait faire valoir sa marchandise.