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Le port, avec ses longues estacades pour le dépôt des charbons, avec sa fabrique de briquettes où l’on agglomère mécaniquement les houilles menues, avec ses quais de chargement, ses magasins, termine dignement le railway. La voie de fer et la voie d’eau se donnent ici la main, et les deux stations se fondent en une seule. Pour les amis du paysage, une haute ligne de peupliers, bordant les rives du canal, vient adoucir le ton trop heurté, pour ne pas dire plus, occasionné par l’encombrement des charbons.

En été, le pays est, dit-on, charmant ; mais je ne l’ai vu qu’en novembre et par un jour de pluie.

Au retour, la pluie et la nuit furent les compagnes du voyage. À la descente des plans inclinés, nous sonnions du cornet à bouquin pour aviser les gardes de la voie et faire ouvrir les barrières. Au milieu d’une obscurité profonde, et dans cette marche rapide que la gravité seule réglait, ce son avait quelque chose de sinistre. Malgré moi je pensais à Roncevaux et à Roland ; mais, plus heureux que le grand paladin de Charlemagne, je ne tombai pas en chemin, et rentrai sain et sauf à Épinac.


III

L’AUTUNOIS.


Le pays des Éduens. — Le château et la verrerie d’Épinac. — Le pétrole français. — La porte d’Arroux. — La cathédrale et le musée d’Autun. — Ruines romaines. — Ou est Bibracte ?

La houillère d’Épinac est située sur la limite du département de Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or, entre Autun et Chagny, adossée aux derniers contre-forts du Morvan. Elle est au cœur de cette région qui s’appelle l’Autunois, parce qu’Autun en forme le centre. C’est la patrie de ces anciens Éduens, qui, amis et alliés du peuple romain, facilitèrent à César la conquête de la Gaule, et qui, pris de remords au dernier moment, se confédérèrent avec les Arvernes, pour tomber avec eux sous les murs d’Alesia. Depuis, les fastes de l’Autunois n’ont plus eu à enregistrer des pages aussi brillantes ; mais la contrée a néanmoins marqué dans l’histoire nationale, et a fourni à la France sa part de glorieux enfants. Le président Jeannin, qui préserva courageusement Autun des massacres de la Saint-Barthélemy, et à notre époque le général Changarnier sont nés à Autun. Les Mac-Mahon sont aussi Autunois, et ont leur château à Sully, au voisinage de la houillère d’Épinac.

En dehors de ses mines de houille, et des ruines d’Autun, dont nous parlerons tout à l’heure, l’Autunois a peu de curiosités à montrer au voyageur. Épinac est fier cependant de son château, plus vieux que celui de Sully qui n’a que le nom de l’ancien ministre d’Henri IV, et qui ne date que du seizième siècle. Du château d’Épinac, il reste deux belles tours, d’épaisses murailles, et plusieurs appartements aux fenêtres gothiques. Ce fut jadis un château fort, et les savants de l’endroit prétendent qu’il a soutenu des siéges. Un d’eux m’a affirmé que les tours du château étaient jadis plus hautes, mais qu’elles furent abaissées parce que les chevaux du sire d’Épinac s’étaient un jour permis, je ne sais plus sur quel pont, de devancer les chevaux de leur suzerain. C’est quand les tours avaient toute leur hauteur qu’il eût fallu voir le château, ajoutait l’archéologue épinacien ; on en parlait à cent lieues à la ronde, et partout courait ce dicton, que l’on prêtait au vieux castel :

Démène-toi, tourne-toi, vire-toi,
Tu ne trouveras pas plus beau que moi.

Ainsi parlait l’archéologue, pendant que le gentilhomme verrier de l’endroit m’arrachait à ces études du moyen âge, pour me montrer sa belle verrerie, fille de l’industrie moderne. Elle est née à côté du charbon, et fut bâtie dans le principe près de la mine, pour consommer sur place la houille qu’on extrayait. Avant l’établissement des chemins de fer, les choses allaient ainsi. Où envoyer économiquement le charbon ? La cherté des transports et le mauvais état, souvent l’absence des chemins, empêchaient de répandre au loin l’utile minéral. Alors on créait une industrie spéciale. Tantôt une usine à fer, tantôt une verrerie, une fabrique de glaces, même une briqueterie. Les fonderies et forges de Terre-Noire près Saint-Étienne, celles du Creusot, l’ancienne fabrique de glaces de Commentry, pour n’en pas citer davantage, n’ont pas eu d’autre origine. Ne pouvant écouler au dehors le charbon, on s’étudiait en quelque sorte à le transformer sur place. À mesure que les chemins de fer sont venus, plusieurs de ces industries, nées par la force des circonstances, et comme en serre chaude, ont peu à peu disparu, mais d’autres ont résisté, et se sont définitivement implantées dans des pays où, sans le charbon, on n’eût jamais songé à les introduire.

La verrerie d’Épinac a été du nombre de ces industries d’abord improvisées, puis vivaces. Dirigée aujourd’hui par M. Andelle, elle fabrique sans cesse ni trêve des dame-jeannes et des flacons, et fournit par an plusieurs millions de bouteilles, près de quatre millions, je crois, à la Bourgogne et au Bordelais.

Messieurs, Messieurs, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons,

dit l’infatigable directeur à ses nombreux clients.

On connaît cette intéressante fabrication des bouteilles. Dans un four chauffé à blanc, sont disposés quatre énormes creusets en terre réfractaire, c’est-à-dire infusible au feu. Du sable de rivière un peu ferrugineux, de la chaux, de la soude, sont mis ensemble dans le creuset. Le mélange ne tarde pas à fondre en un verre homogène et de couleur vert noirâtre. Toutes les matières se sont intimement combinées ; ce n’est plus qu’un silicate de soude et de chaux, auquel la présence du fer donne la couleur caractéristique du vert bouteille. Alors arrive le souffleur, non pas alchimiste comme ceux du moyen âge, mais utile verrier, qui prenant au bout d’une canne creuse en fer, semblable à un canon