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de fusil, une portion de silicate, souffle par l’autre bout, et façonne peu à peu la bouteille. La forme s’achève dans un moule. Chez M. Andelle, non-seulement les formes, mais les volumes arrivent à être toujours les mêmes, et ce point est important aussi bien pour le marchand de vin que pour le consommateur. Dans la verrerie d’Épinac, un appareil ingénieux, le lagénomètre, fait justice de toutes les bouteilles ou trop grandes ou trop petites. Le lagénometre ? direz-vous ; qu’est-ce que cela ? Ouvrez ce livre qui nous a tous amusés au collége, le Jardin des Racines grecques, et lisez :

Λάγηνος, pot, bouteille antique.

Μέτρον, mesure et vers nombré.

Le lagénomètre est donc l’appareil qui mesure les bouteilles ; le mot n’est-il pas bien trouvé ? L’avis de M. Andelle est qu’il est bon, et que la chose fonctionne bien. Soyons de l’avis des connaisseurs.

La verrerie consomme environ neuf mille tonnes ou neuf millions de kilogrammes par an. On calcule que cela fait à peu près trois kilogrammes de houille par kilogramme de verre produit. Toutes les industries établies dans le principe au voisinage des houillères, devaient naturellement répondre à cette condition de consommer beaucoup plus de houille que d’autres matières premières.


Palæonisque (Palæoniscus Blainvillei, Agassiz), poisson fossile du terrain houiller d’Autun. — Dessin de Mesnel d’après nature.

La houillère d’Épinac, qui fournit à la verrerie tout le combustible dont elle a besoin, n’est pas la seule dont il s’extraye du charbon dans le bassin de l’Autunois. Quand on va d’Épinac à Autun, on traverse plusieurs concessions de mines qui produisent aussi de la houille. Toutefois ces exploitations ne sauraient faire concurrence a celle d’Épinac ; mais quelques-unes sont intéressantes à d’autres titres. C’est là que gisent les schistes bitumineux que l’on distille pour en retirer l’huile minérale, et faire concurrence au pétrole américain au moyen de ce pétrole français. Ces gîtes jouissent aussi d’un grand renom auprès des géologues. C’est dans leurs feuillets qu’on rencontre les empreintes de poissons fossiles, les amblyptères, les paléonisques sur lesquels le naturaliste Agassiz a fait les grands travaux qui ont rendu son nom à jamais immortel. C’est encore au milieu de ces schistes, à Muse, que M. Frossard a récemment découvert les débris pétrifiés d’un saurien, le premier qu’on ait trouvé en France dans le terrain houiller. M. A. Gaudry, en présentant à l’Académie des sciences ce noble témoin des premiers âges, parent de l’Archégosaure ou du premier lézard, a proposé de lui donner le nom d’Actinodon. Ce nom signifie que les dents de ce reptile sont striées, rayonnées[1].

Allant un jour à Autun, je visitais ces fameuses mines de schiste. Les couches qui les contiennent sont supérieures à celles d’Épinac. Les schistes noirs, lustrés, se divisent en minces feuillets comme des ardoises. Les Romains d’Augustodunum qui ignoraient la propriété de ces roches de fournir de l’huile, les ont employées en placages et comme pierres de mosaïque. Les schistes dégagent par le frottement une odeur bitumineuse. On abat la roche comme s’il s”agissait de la bouille, puis

  1. Il faut toujours parler quelque peu la langue d”Homère, dans la science comme dans l’industrie. Actinodon vient de deux mots grecs : Άχτίγ, actin, rayon, et Όδούς, odous, dent.

    Je m’étais fait une joie de communiquer aux lecteurs du Tour du Monde un dessin fait, d’après nature, des vénérables débris de l’Actinodon. Malheureusement le muséum de Paris n’est pas prêteur, même de ce qu’on lui prête, et c’est là son moindre défaut. Comme il se propose de publier lui-même le fossile trouvé par M. Frossard, il m’a renvoyé à l’ancien éditeur des Archives du muséum, celui-ci au nouvel éditeur, lequel m’a renvoyé à son tour aux administrateurs eux-mêmes du muséum, lesquels, après m’avoir enfermé dans ce cercle vicieux et le règlement du Jardin des plantes à la main, m’ont ajourné à l’issue de leur publication de l’Actinodon. J’ai ainsi couru de Caïphe à Pilate, et suis revenu les mains vides. Ce que les établissements administratifs ne font que lentement, et souvent à grands frais, un simple éditeur l’eût fait en quinze jours et sans rien demander à l’État. Et nunc erudimini !