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Tous les objets que renferme le musée d’Autun, ont été retirés de fouilles nombreuses. La ville elle-même, l’Augustodunum des Césars, ne renferme aucune ruine gauloise et a fort peu de ruines romaines. J’ai parlé de la porte d’Arroux. Celle de Saint-André mériterait aussi d’être citée. Elle est moins élégante, d’ordre ionique. Une des tours qui servait à la défendre existe encore. Deux grandes arcades couronnées par une rangée de six petites, telle est la porte que les Romains, s’ils revenaient, seraient bien étonnés de voir mise sous le patronage de Saint-André.

Faut-il maintenant parler des restes d’un temple de Janus, d’un amphithéâtre, de ruines de murailles et d’anciennes tours qui ceignaient la ville, d’aqueducs qui y amenaient l’eau, et dont le principal descendait de Montjeu, le mont de Jupiter, mons Jovis, disent les étymologistes ? Faut-il, à la grande joie des antiquaires, exhumer tous ces débris épars, et refaire une ville que les Burgundes, les Sarrasins, les Normands, les Anglais, tous ces grands dévastateurs, ont tour à tour démolie et brûlée ? Laissons ce soin à de plus habiles. Seulement relevons ici une erreur dans la quelle bien des historiens persistent encore.

Autun est l’Augustodunum des empereurs romains. Le nom qu’elle porte indique à la fois l’époque de sa construction sous Auguste, et l’éminence sur laquelle elle est bâtie, dunum, du Gaulois dun, colline, montagne, d’où nous avons fait dune ou montagne de sable. Mais Autun n’est pas l’ancienne capitale des Éduens, Bibracte, dont nous parle César. C’est sur le mont Beubray ou Beuvray, situé à peu de distance à l’ouest d’Autun, et dont l’appellation moderne trahit l’ancien nom celtique, qu’était la primitive Bibracte. Après la conquête, les Romains bâtirent Augustodunum pour ruiner Bibracte, et latiniser davantage les Gaulois. L’histoire nous offre des faits analogues. En Étrurie, à côté de la Florence romaine, est la Fiesole des Tyrrhéniens ; la première n’occupe pas l’emplacement de la seconde.

Quand je visitai Autun, cette question du véritable gisement de Bibracte, préoccupait fort les modernes Éduens. Les uns penchaient pour Augustodunum, les autres pour le mont Beuvray. C’est toujours la même histoire des éternelles disputes humaines. La Vie de César, que Napoléon III venait de publier, avait donné à la discussion une impulsion nouvelle, et l’Empereur lui-même était intervenu dans le débat en ordonnant des fouilles sur le mont Beuvray.

Les ruines que ces fouilles ont mises à découvert, semblent ne plus laisser aucun doute. Sur le sommet de la montagne on a trouvé des fondations de murs, et retiré du sol des bronzes et des monnaies celtiques. Là était bien Bibracte, ancienne capitale de la confédération éduenne. Là commandèrent les vergobrets Divitiac et Dumnorix, chefs du collége de druides, et d’abord alliés de César. Que de faits encore indécis dans notre histoire nationale pourraient ainsi être éclairés d’un jour nouveau par des fouilles intelligemment conduites ! Le sol répond quand on sait l’interroger, et notre époque, si féconde en grandes découvertes, aura la gloire de n’avoir pas négligé celles de l’archéologie.


IV

FINIS CORONAT OPUS.


Pourquoi je n’ai pas visité Bibracte. — L’homme propose et la pluie dispose. — Mañana. — Les houilleurs d’Épinac. — Pierre Lhôte. — Le père Garnier. — Carême et Figaro. — L’Alcade. Un rival de Sixte-Quint.

J’aurais voulu pouvoir donner ici mon opinion de visu sur Bibracte, et dire après tant d’autres ce que je pensais de l’emplacement exact de l’oppidum des Éduens, j’entends le dire sans prétention, familièrement, comme on cause entre amis de choses qui vous intéressent.

Dans ce but, je m’étais proposé de retourner un jour à Autun, à la seule fin d’y faire de l’archéologie. Le sujet n’eût pas manqué d’actualité, comme on dit par le temps qui court.

« Et pourquoi ne visitâtes-vous point Bibracte le jour même où vous allâtes à Augustodunum ? » dira un lecteur mécontent. C’est que ce jour-là, ami lecteur, une pluie diluvienne (comme il en tombe souvent en automne dans le Morvan) survenue tout à coup, inondait la montagne sur laquelle Autun est juché. Les rues en pente versaient l’eau comme des fleuves, mais elles étaient pavées. La montagne de Bibracte, récemment bouleversée par la pioche des antiquaires, devait être à peu près inaccessible, comme les buttes Chaumont le jour où pour la première fois l’infatigable préfet de la Seine y lâcha ses robustes terrassiers, et qu’un de ces déluges, dont le ciel de Paris n’est nullement avare, vint détremper l’argile défoncée.

Ce fut devant un de ces cataclysmes, cas de force majeure, que l’honorable membre de la société Éduenne à qui j’étais adressé (les modernes Gaulois de Bibracte se parent volontiers du nom de leurs pères) m’engagea à différer notre excursion. J’acceptai et remis à plus tard. Mais le proverbe a bien raison : Ne remettez jamais à demain les affaires sérieuses. Il en coûta à je ne sais quel Thébain ou Lacédémonien de n’avoir pas suivi ce proverbe. Il m’en coûta aussi à moi ; non pas que j’aie vu le moins du monde se vérifier à mon endroit les vers du poëte :

Qui sait d’ailleurs ce que demain m’apprête ?
Podagre ou pair si j’allais m’éveiller !

Et si je ne me suis pas réveillé pair, je ne me suis pas non plus réveillé podagre, ce qui fait peut-être compensation. Mais enfin, à force de remettre à demain (ce mañana des Espagnols, ce baccaloum ou ïaryn des Turcs qui ne sont jamais pressés), j’ai fini par ne pas retourner à Bibracte. Oui, cher lecteur, je n’y suis plus allé, et je le confesse. Depuis deux ans je n’ai pu trouver un moment de loisir pour cela.

Et voilà pourquoi, comme dit Molière, votre fille est muette. Au fait, il faut se modérer, petits ou grands, et