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ce à dire que dans l’attaque du terrain, le péril ait à son tour disparu ? Hélas, non ! Les explosions du grisou, ce gaz détonant des houillères, les éboulements, les inondations, les coups de mine, font encore ici comme ailleurs, et malgré toutes les précautions que l’on prend, un trop grand nombre de victimes. Le pionnier des souterrains a ses luttes comme le soldat des armées de terre et de mer, mais il est bien plus méritant que ceux-ci ; car, héros obscur, il marche bravement à la mort, sans l’espoir d’aucune récompense, d’aucun avancement, avec la seule satisfaction d’avoir rempli sa tâche, et fait jusqu’au bout son devoir. Les amis de la paix pourraient aussi faire observer qu’il produit, tandis que les autres détruisent, qu’il produit le charbon, et qu’il crée, pour ainsi dire, la lumière, la chaleur, la force, le mouvement, tous ces agents naturels sans lesquels les sociétés civilisées modernes ne sauraient désormais exister.

Bornons là ces observations, qu’il suffira d’avoir provoquées dans l’esprit du lecteur, si déjà il ne les a faites lui-même, et reprenons le chemin des ateliers.

Dans l’établissement de lavage où nous l’avons vu conduire, la houille est soumise à une purification complète. Au moyen d’appareils particuliers et de l’eau en mouvement, on sépare facilement les pierres lourdes de la houille plus légère. Dans de nouveaux ateliers on pulvérise la houille lavée et nettoyée, et on la mélange avec d’autres de provenance extérieure. Le Creusot, qui extrait par an de ses mines plus de 200 000 tonnes de charbon ou de 200 millions de kilogrammes, est obligé, tant sa consommation est considérable, d’aller emprunter aux mines voisines, celles de Montchanin et de Blanzy, aux mines de Decize, dans la Nièvre, et aux mines de la Loire, notamment celles de Saint-Étienne, les quantités et jusqu’à un certain point les qualités qui lui manquent.

Dans les ateliers de pulvérisation et de mélange, le travail est encore plus curieux que dans ceux de lavage et d’épuration. Des appareils automatiques exécutent toutes les manipulations, charrient la houille, la lavent, en dosent et pèsent les mélanges, qu’ils chargent eux-mêmes dans les wagons. Aujourd’hui, la machine, en quelque sorte intelligente, a presque partout remplacé la main de l’homme, et nulle part ce fait ne se vérifie mieux qu’au Creusot.

Lavées, dosées, mélangées, les houilles destinées à la fusion du minerai de fer sont jetées dans des fours ad hoc où on les torréfie et les cuit. C’est une carbonisation qui rappelle celle du bois dans les forêts. Ici l’enveloppe en briques réfractaires des fours joue le rôle de la meule en terre qui enserre les rondins végétaux. Et à quoi bon tout ce travail ? Ne vaudrait il pas mieux jeter directement dans le fourneau à fer le combustible crû ? non, certes ; en voici la raison. Le combustible, déjà purifié des matières pierreuses et stériles par le lavage, est débarrassé par la carbonisation des parties sulfureuses et gazeuses qu’il contient. Le soufre, en se mêlant au fer, rendrait le métal cassant ; les parties gazeuses, en se vaporisant dans le fourneau, emprunteraient une partie de la chaleur nécessaire au traitement du minerai. Voilà pourquoi on carbonise la houille avant de l’employer au travail de la fonte. Cette houille carbonisée n’est autre chose que ce que nous appelons le coke. Le coke a concentré tout le carbone de la houille, le combustible solide ; sous un moindre poids, il donne une plus grande chaleur : il en faut donc moins jeter dans la fournaise ; nouvel avantage d’employer le coke au lieu de la houille crue. Enfin le coke est toujours homogène, et sous un poids ou un volume donné, fournit toujours à peu près la même quantité de cendres, produit le même effet calorifique.

Le combustible est trouvé ; où prendrons-nous le minerai de fer ? À Mazenay d’abord, non loin du Creusot. Visitons cette nouvelle mine. La route est facile et courte. Le chemin de fer nous y conduit. Partis du Creusot sur la voie qui nous a menés à l’usine, nous quittons le railway à la station de Saint-Léger, près le canal du Centre, où un embranchement spécial nous dépose sur les travaux. La voie passe au pied des galeries et des puits d’où l’on extrait le minerai. La pierre rouge, ferrugineuse, peut être le même jour abattue, extraite, versée dans les wagons, et portée à l’usine sur la bouche des fours, pierre le matin, fonte le soir.

L’exploitation de ces mines a doublé la population des pays environnants, déjà fertilisés par l’agriculture. La contrée est doublement féconde : le sol y fournit le vin ; le sous-sol, le fer, deux des plus utiles produits des règnes végétal et minéral.

La couche de minerai affleure, c’est-à-dire qu’elle se montre au jour, qu’elle apparaît à la surface sur quelques points. Elle se développe souterrainement comme une immense table, épaisse d’abord de deux pieds, puis de six. La puissance s’accroît avec la profondeur. Quelle fortune a trouvée là le Creusot ! C’est près de trois cent mille tonnes par an, trois cents millions de kilogrammes, qu’il extrait de cette pierre rouge, dont le titre est de vingt à trente pour cent de fer pur.

Le gîte de Mazenay est enclavé dans le terrain que les géologues nomment jurassique, parce qu’il est surtout développé dans le Jura. Ce terrain est supérieur au terrain houiller, qui est son aîné de beaucoup, car entre les terrains jurassique et houiller, viennent les terrains permien et triasique. Le premier a été baptisé de ce nom parce qu’on le rencontre principalement dans la province de Perm en Russie ; l’autre parce qu’il renferme trois groupes, une triade d’étages.

Autour de Mazenay s’étend le terrain jurassique, d’abord en mamelons doucement arrondis, puis en crêtes abruptes et pelées. Sur l’un de ces mamelons est le bourg de Couches, ainsi nommé parce que les duchesses de Bourgogne allaient, dit-on, y faire leurs relevailles. Parmi les crêtes déchiquetées, on distingue celles de Rème et de Rome, crêtes jumelles qu’un plaisant centurion venu d’Italie avec César, dut sans doute désigner ainsi en souvenir de la grande légende des deux frères jumeaux, Rémus et Romulus.