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Tel est le pays de Mazenay. Autour des mines sont concentrés les établissements alimentaires et des groupes de maisons d’ouvriers, noyaux de futurs villages. Les hommes ont la face rougie par la poussière du minerai ; les femmes sont à peu près absentes de ce pays embryonnaire.

Bien que l’extraction du minerai soit incessante, ici comme pour le charbon, la production ne peut marcher de pair avec la consommation, et le Creusot va chercher au loin ce qui lui manque. Chizeuil et Génelard dans la Saône-et-Loire, lui fournissent déjà un certain appoint, puis les célèbres mines du Berry, et celles non moins importantes du Doubs. Cela n’est pas encore suffisant. L’île d’Elbe aux gîtes inépuisables, à peine effleurés par trois mille ans de fouille ; l’Algérie avec ses riches mines de Mokhta-el-Haddid (la tranchée du fer), envoient aussi leurs produits au Creusot.


Forgeron au marteau-pilon de la forge à l’anglaise, avec la pince à saisir la loupe. — Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

Le rendez-vous de tous les minerais est à l’orifice des fourneaux, en un lieu dit la plate-forme. Variables par le titre et la composition, on en prépare ce qu’on nomme des lits de fusion. Ce sont des mélanges de minerai, de coke et de fondants. Ces derniers sont des matières siliceuses ou calcaires dont le rôle est de venir en aide au travail du fourneau. La nature des lits de fusion varie suivant la qualité de fonte qu’on veut produire, et la chimie est interrogée pour ce travail préliminaire dont dépendra le traitement métallurgique.

Les foyers où s’opère la réduction du minerai de fer portent en métallurgie le nom de hauts-fourneaux, à cause de leur grande élévation. Au Creusot, ces foyers sont au nombre de quinze, onze alignés sur une rangée, les quatre autres en retour d’équerre sur les premiers. Ils forment un colossal ensemble, adossé à la montagne qui porte la ville. Ces géants de brique et de pierre rappellent les monstrueux édifices dont l’Égypte et l’Assyrie offrent encore tant de modèles. À la cime est le gueulard, qui vomit la flamme et la fumée ; à la base, par la tuyère éblouissante, la machine soufflante lance l’air à pleins cylindres, tandis que par le trou de coulée, s’échappe incessamment la scorie liquide, qui serpente sur le sol de l’usine comme une traînée de lave. La coulée de la fonte est intermittente. Elle n’a lieu qu’à des intervalles réguliers, deux ou trois fois par vingt-quatre heures. Le métal jaillit comme un fleuve de feu ; des gerbes étincelantes s’en dégagent et pétillent dans l’air.

La fonte court sur le sol de l’usine dans des moules en sable où elle se fige. Une partie du métal reçoit dans cette opération une forme définitive ; une autre partie subit dans un fourneau en forme de cuve, dit cubilot ou four à la Wilkinson, du nom de l’inventeur anglais, une seconde fusion, une sorte de raffinage. Après quoi elle prend dans des moules délicatement préparés, en terre, en sable ou en fonte, les formes variées que réclame l’industrie. Ainsi se confectionnent les cylindres de machines à vapeur, les tuyaux de conduite, etc.

Mais la fonte ne s’emploie pas qu’au moulage, elle sert surtout à fabriquer le fer, et c’est ici que commence une nouvelle série de traitements qui compose la principale industrie du Creusot.

La fonte de forge, qui diffère par ses propriétés et jusqu’à un certain point par sa composition, de la fonte de moulage, est produite dans des hauts-fourneaux particuliers. On la moule en lingots ou gueuses, que l’on porte à la forge pour les transformer en fer. Une nouvelle forge a remplacé l’ancienne, naguère située vis à vis des hauts-fourneaux, et que les besoins et le développement de l’usine ont forcé de reconstruire ailleurs sur une échelle monumentale. Une longue rangée de fours à réverbère, où la fonte est purifiée, le fer réchauffé ; devant les fours, les marteaux-pilons, les laminoirs à vapeur, où le métal est soudé, forgé, changé en barres, en rails et en plaques de tôle, tel est le spectacle que présente tout d’abord l’ensemble de la nouvelle forge. Dans les hautes cheminées des fours à réverbère, sont logées debout les chaudières des machines, ce qui économise la place et le combustible ; au milieu du vaste atelier, est la chambre des pompes, qui alimentent d’eau les chaudières ; d’un côté, les magasins de réception, où la fonte venant des hauts-fourneaux, est reçue, pesée, envoyée aux fours à réverbère ; de l’autre côté, les magasins de dépôt, où le fer, désormais doué de qualités marchandes, pour parler comme les industriels, c’est-à-dire barre, rail ou plaque, est empilé, étiqueté, et de là expédié sur tous les marchés. La distribution de l’atelier est admirable de simplicité, d’ordre, de symétrie. Le sol est dallé en fonte pour faciliter tous les mouvements ; le rail, que parcourt la locomotive, entre dans l’usine, s’a-