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comme un épais tapis, et par leur tissu feutré, tourbeux, préparaient les couches de houille, dont l’exploitation devait un jour venir en aide à la machine à vapeur, l’une des merveilles de notre époque.

La mer baignait partout la lisière de ces forêts antédiluviennes. Le terrain émergé n’était formé que d’îles, et dans les eaux salines poussaient même quelques-unes des plantes houillères. Dans ces eaux vivaient aussi des êtres d’espèces aujourd’hui perdues, notamment ces poissons si différents des nôtres, mais que les maîtres de la paléontologie ont su reconstituer. Ce sera la gloire de M. Agassiz d’avoir en quelque sorte fait revivre ces poissons fossiles, comme celle de M. Ad. Brongniart d’avoir reconstitué et remis à leur véritable place toutes les plantes de l’époque houillère.

On retrouve les vertèbres, les écailles, et même le corps tout entier des poissons de l’âge carbonifère, en empreintes moulées dans les schistes. Au milieu de ceux-ci se sont conservés jusqu’à des coprolithes, ou déjections pétrifiées de ces animaux fossiles. Nous avons dit, en parlant du bassin d’Autun, si riche en débris de cette sorte, qu’un saurien, l’Actinodon, avait même été retrouvé avec les poissons. Aucun de ces êtres éteints n’appartient à des mammifères ; le moment n’était pas encore venu pour les animaux supérieurs de faire leur apparition.

Quel sujet de réflexion pour le philosophe que cette succession, cette transformation de la vie sur le globe, cette série d’espèces qui vont sans cesse se modifiant, se perfectionnant, à travers les millénaires géologiques, des espèces les plus rudimentaires, les plus humbles, aux plus intelligentes, jusqu’à ce qu’enfin l’homme apparaisse, et la civilisation avec lui !


M. P…, ingénieur en chef de la mine de Montchanin, en tenue de travail. — Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

Le terrain houiller de Saône-et-Loire, déposé dans une anfractuosité marine, une sorte de baie marécageuse, qui était comprise entre les côtes porphyriques du Morvan et les granits du Charollais, ne s’appuie pas partout directement sur ces roches éruptives. Souvent, comme au Creusot, il repose sur la grauwacke[1], roche bleuâtre, grisâtre, aux tons indécis, et quia dû être fortement calcinée par le contact du granit, au temps des grands cataclysmes géologiques. Les lignes de stratification ont sensiblement disparu ; les couches ont été soulevées presque verticalement, la roche est fendillée, et se divise en fragments irréguliers. On y retrouve, comme trace de la vie organique à l’époque où elle s’est déposée, quelques rares empreintes d’encrines, de la famille des coraux.

Dans ces âges lointains, qui sont contemporains de la première période de formation terrestre, le monde, encore dans l’enfantement, était agité de convulsions violentes, qui rompaient et disloquaient les couches, souvent même pendant leur formation, et jalonnaient, sur des méridiens entiers, des lignes de montagnes.

Ces effrayantes trépidations du sol, dont les tremblements de terre d’aujourd’hui ne peuvent donner qu’une très-faible idée, ont continué pendant toute l’époque houillère, à des intervalles intermittents. Ce sont elles qui ont brisé, pétri, laminé les couches de houille encore pâteuses, et provoqué, dans les terrains à peine consolidés, des fractures et des crevasses ; ce sont elles qui ont bouleversé des stratifications auparavant régulières, et fait émerger quelquefois, au milieu même des bassins, des pitons de roches ignées qui ont rejeté au loin les strates. C’est ainsi qu’entre Autun et le Creusot, le terrain houiller a dû être soulevé, démembré et balayé par quelque déluge après son dépôt.

L’époque houillère finie, sont venues l’époque permienne, puis les époques triasique et jurassique.

Nous sayons pourquoi on les a baptisées de ces noms. Les mineurs belges, qui font peu de géologie savante, mais beaucoup de géologie pratique, ont donné le nom pittoresque de morts-terrains ou terrains-morts aux formations supérieures au terrain houiller, parce qu’ils n’y rencontrent pas la houille. En retour ils appellent terrains d’adieu les terrains inférieurs au terrain houiller, ceux sur lesquels s’appuie la formation carbonifère, parce que, passé ce niveau, il faut dire adieu au charbon, il n’y a plus d’espoir de le rencontrer. Ici, comme il arrive presque toujours, les expressions populaires ont le pas sur celles des savants : elles sont plus justes et surtout plus imagées.

Les terrains permien, triasique et jurassique qui

  1. De l’allemand grauwacke, roche grise.