Page:Le Tour du monde - 15.djvu/222

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et les musées, à l’usage en ce moment de beaucoup de voyageurs pressés, abrutit positivement l’intelligence par la multiplicité des objets qui défilent sans relâche devant les yeux.

Voulant, à propos des jours saints, me tenir au courant des stations pieuses que font certains Romains, j’aurais désiré aller jusqu’à Saint-Paul aux Trois-Fontaines. Cette église est située assez loin de la ville, plus loin que Saint-Paul-Basilique, un mille environ après l’embranchement de la route d’Ostie ; elle forme groupe avec deux autres édifices religieux, et est célèbre par les trois fontaines qui lui ont donné son nom. On raconte qu’elle a été bâtie là où saint Paul eut la tête tranchée ; cette tête rebondit trois fois, et aux trois places qu’elle toucha, une source jaillit : les fidèles vont dans ces jours saints boire de l’eau des trois fontaines et assister à l’ostension de quelques reliques. Mais j’ai dû, à regret, renoncer à visiter ce sanctuaire éloigné ; il est, à cette époque, malaisé de trouver une voiture pour une course qui demande, en somme, trois ou quatre heures, aller et retour : j’ai dû me contenter aujourd’hui de visiter le Bambino et la Madone de Saint-Augustin. Il existe ici beaucoup d’Images miraculeuses, peintes ou sculptées, telles que le Christ de l’Escalier saint, le Christ noir de Sainte-Marie du Peuple, mais je crois qu’aucune image n’a jamais pu balancer, comme croyance populaire, la réputation du Bambino et de la Madone de Saint-Augustin.

De Saint-Pierre je pris le pont Saint-Ange, puis la rue des Coronari, rue longue, commerçante, où se trouve une petite maison bien délabrée, habitée jadis par Raphaël ; cette rue me conduisit à l’église Saint-Augustin. Cette église, assez médiocre comme architecture extérieure, est au milieu du quartier actif et habité de la Rome moderne, tout près la Poste, le Panthéon et la place Navone. La Madone, œuvre célèbre de Sansovino, est placée dans l’intérieur et contre le mur qui forme la façade de l’église ; c’est un groupe de grandeur naturelle en marbre blanc. La Vierge est vue à mi-corps, tenant dans ses bras le petit Jésus ; sans être une œuvre extraordinaire, ce groupe accuse un talent supérieur, et l’on a fait avec justesse la réflexion qu’elle forme une rare exception ; d’ordinaire, la crédulité populaire choisit pour but de son adoration des œuvres informes comme art ; ici c’est le contraire, et c’est je crois le seul exemple, à Rome, d’une sculpture remarquable qui soit devenue l’objet d’un culte aussi général ; la Vierge de Michel-Ange, à Saint-Pierre, n’a pas eu cette heureuse chance et gît à peu près inconnue des fidèles romains dans la chapelle de la Pieta où on l’a placée.

Il est assez malaisé de bien voir ce groupe ; il est posé dans l’ombre, et n’a pour l’éclairer qu’une quantité (grande il est vrai) de lumières, mais si fumeuses, si vacillantes, qu’elles nuisent plutôt qu’elles ne servent : tout autour, sur la face du mur même où est la Vierge, sur la paroi qui lui fait face, sont des veilleuses et de petits cierges posés par les fidèles ; puis, en bien plus grande quantité encore que les veilleuses, sont des cœurs dorés et argentés qui couvrent une partie de la construction. Au centre de cette surface, à la fois sombre et miroitante, se détache le groupe de la Vierge et de son Fils tout couvert de diamants, de perles et de pierres précieuses ; les colliers descendent par vingt et trente rangées, les bracelets encombrent les bras, la tête disparaît sous les peignes et les diadèmes, et sur le piédestal, entre les bras, sur les épaules, dans les plis des draperies, des écrins remplis ont été déposés. La Madone a un trésor à elle, et tout ce que l’on voit là n’en constitue qu’une partie. Ces richesses lui ont été offertes en reconnaissance de vœux accomplis et aussi en lui demandant d’accomplir des vœux. La Madone de Saint-Augustin intervient et intercède à propos de tout ce qui regarde la maternité, depuis la conception des enfants jusqu’à leur complète éducation ; c’est, on le voit, un long chapitre, s’adressant à toutes les classes ; et cela explique en partie la richesse des offrandes qu’elle a reçues et reçoit. On raconte qu’une partie de ses parures lui a été volée déjà par d’adroits filous. Quelquefois, dit-on, certaines mères regrettent leurs dons, et l’on cite une dame romaine qui, pour obtenir la guérison de sa fille, avait offert un beau peigne en diamants ; la fille guérie, la mère regretta son offrande et alla, après de longues hésitations, réclamer au supérieur de Saint-Augustin son bijou désiré ; le supérieur, sans vouloir ni le prendre, ni le faire prendre, autorisa simplement la dame à le retirer elle-même de la tête de la Vierge ; la dame essaya bien, monta sur une chaise, mais ne put jamais se décider à toucher à la statue, qui depuis ce temps a toujours conservé sur ses cheveux le diadème réclamé.

La Madone est plus riche que le Bambino dont je vais parler, et elle reçoit non-seulement des objets précieux des personnes qui sont à Rome, mais aussi on lui en envoie par intermédiaire. On cite, par exemple, l’histoire d’une dame française habitant les environs de Nîmes, qui avait écrit à une de ses amies, à Rome, afin que cette dernière intercédât auprès de la Madone pour qu’elle obtînt la faveur de devenir mère. L’amie romaine fit les dévotions et les neuvaines d’usage, mais à chaque fois, elle avait, dit-on, le soin d’ajouter naïvement (car elle avait déjà des enfants) :

« Sainte Vierge, ne vous trompez pas ; c’est pour mon amie qui demeure à Nîmes et non pour moi que je vous supplie ! »

De Saint-Augustin, pour gagner l’église d’Ara-Cœli, où se trouve le Bambino, il faut traverser la place Navone, si pittoresque, si animée, dans toute sa longueur ; puis par un dédale de rues, de petites places, assez difficile à expliquer brièvement, gagner d’abord Saint-André della Valle, puis le Gesù ; une fois là, on aperçoit l’escalier du Capitole surmonté de ses chevaux et de ses statues ; il est aisé de se diriger. En bas de la rampe du Capitole, à gauche, est un long et roide escalier en ligne droite, dont les marches noires sont cependant en marbre blanc, mais ce marbre a subi les injures