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ciers ordinaires. Un trône a été préparé dans le transept gauche de Saint-Pierre : il est situé près la statue de sainte Véronique, sur le panneau qui fait face quand on regarde l’autel ; le siége du cardinal est placé au haut de quelques degrés, et, dans la séparation formée par des tapisseries qui entourent le trône, vient se réunir le cortége qui accompagne le pénitent désigné. Chaque année cette grande absolution ne s’accorde qu’à un seul coupable. Cette cérémonie est un reste des anciens usages de la confession publique qui avait lieu au moyen âge ; cette confession qui se faisait d’abord à haute voix, puis qui eut lieu à voix basse ensuite, n’est plus représentée, je crois, à Rome, que par le cérémonial de ce seul jour saint. Le coupable désigné entre à Saint-Pierre processionnellement avec quelques religieux, sa famille et ses amis ; une fois devant le cardinal assis sur son trône, il s’agenouille et se confesse à voix basse ; le cardinal lui donne l’absolution dont le pouvoir lui a été spécialement délégué par le pape, et l’embrasse publiquement. L’amnistié quitte alors Saint-Pierre avec la procession qui l’accompagne à son entrée, et le cardinal grand Pénitencier, reprenant la baguette en main, recommence les fonctions ordinaires du Pénitencier dans les Basiliques majeures.

Les cérémonies se succèdent rapidement. À peine le grand Pénitencier est-il terminé que la procession des pèlerins arrive.

7o La Basilique a préparé, comme toute église, le tombeau traditionnel ; il est disposé dans le souterrain primitif, la où est le tombeau de saint Pierre lui-même. Ce tombeau est splendidement illuminé. L’espace est étroit et le public ne pénètre qu’avec peine dans l’espace réservé. À Trinité des Pèlerins, la procession s’est organisée ; les pèlerins sont revêtus du costume traditionnel, chapeau, bourdon, pèlerine, coquilles de Saint-Jacques. Chacun d’eux est accompagné d’une grande dame romaine qui patronne l’œuvre de Trinité ; la procession traverse le Tibre, circule à travers la longue rue du Transtévère, et débouche sur la place Saint-Pierre où l’attend une foule de curieux. Après que les pèlerins ont fait leurs dévotions, ils reprennent dans le même ordre qu’à leur entrée le chemin du couvent de la Trinité où ils sont logés, hébergés pendant la semaine sainte, nourris et servis le plus souvent par les mains des dames patronnesses.

8o Après l’adoration des pèlerins a lieu une cérémonie curieuse et, je crois, inusitée en France. Anciennement, dans toute la catholicité, on lavait, après la messe du matin, l’autel des églises ; on se servait pour cela d’eau et de vin ; le restant du liquide épongé sur l’autel était mis de côté et servait au lavement des pieds des apôtres. À Rome, cette cérémonie a lieu vers le soir ; l’ombre commence à envahir la grande basilique, et le tableau, formé par les chanoines de Saint-Pierre brossant la table de l’autel pendant que quelques torches les éclairent, est d’un superbe effet. Voici, au reste, comment le lavement de l’autel a lieu : sur une crédence, près de l’autel, on a déposé sept coupes de cristal, un vase d’or rempli de vin, un bassin avec sept éponges et des ustensiles appelés aspersoirs ; ce sont des espèces de brosses en bois découpé dont le manche est orné de sculptures. Le chapitre entier de Saint-Pierre se rend au grand autel, et sept des plus anciens chanoines se placent au pied de l’escalier ; pendant que le chœur chante, six de ces sept chanoines montent à l’autel, versent un peu de vin sur la table, passent trois à droite, trois à gauche, et brossent l’autel en étendant le vin avec leurs aspersoirs ; ils redescendent, et six autres chanoines les remplacent et recommencent le même cérémonial. Tous les chanoines passent ainsi six par six ; alors les sept chanoines qui s’étaient présentés les premiers reviennent à l’autel, prennent les sept éponges, et enlèvent avec elles le vin qui est répandu. Le chapitre se retire ensuite dans l’ordre où il est venu ; j’ignore si le vin provenant de la table de l’autel reçoit, à Saint-Pierre, une destination particulière.

9o Bientôt vient la cérémonie la plus imposante de l’après-midi. C’est l’ostension des grandes reliques. Elle a lieu le mercredi-saint, le jeudi-saint et le vendredi-saint, après l’exécution du Miserere. La nuit est presque complétement arrivée ; il est sept heures et demie ; anciennement, un lustre en bronze doré, en forme de croix, et de dimensions géantes, descendait de la coupole dans Saint-Pierre ; l’illumination était splendide ; mais les curieux faisaient alors de cette cérémonie une sorte de partie de plaisir ; il en résulta quelques inconvénients et, depuis bien des années déjà, cet usage du lustre de bronze a disparu.

Les grandes reliques se composent de la lance, la sainte face et la vraie croix ; elles sont renfermées dans la chapelle de Sainte-Véronique, et cette chapelle est située au haut du pilier sud-ouest de la coupole, au-dessous de l’arc du pendentif. En avant de la chapelle est, de même qu’aux autres angles de la coupole, un balcon faisant saillie ; c’est de ce balcon que les chanoines de Saint-Pierre, qui seuls ont le droit de pénétrer dans la chapelle de Sainte-Véronique, montrent les reliques indiquées ci-dessus. En même temps, les chanoines exposent à la vénération des fidèles quelques autres reliques importantes, mais je ne m’occuperai que des trois principales, et voici quelques renseignements rapides à leur sujet.

La Lance est celle de saint Longin, et saint Longin est le soldat qui perça le flanc de Jésus-Christ sur la croix ; on rapporte qu’à l’époque de la Passion Longin était aveugle et qu’il se fit aider pour frapper Jésus ; d’autres disent qu’il devint subitement aveugle en punition de sa barbarie. Quoi qu’il en soit, Longin reçut sur ses doigts quelques gouttes du sang de Jésus-Christ qui avait coulé le long de sa lance, et s’étant frotté les yeux avec ce sang, il recouvra la vue. Ce miracle opéra sa conversion et il se fit ermite dans les montagnes de la Cappadoce. La lance, restée à Jérusalem, fut trouvée par l’impératrice Hélène, mère de Constantin, lorsqu’à l’âge de près de quatre-vingts ans, elle vint à Jérusalem