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rechercher les objets de la Passion, en même temps que le tombeau de Jésus-Christ.

La vraie croix, selon une très-ancienne légende, aurait été faite avec le bois de l’arbre du bien et du mal qui, arraché et transporté par les eaux du déluge, avait repris racine sur le Golgotha en vue de desseins mystérieux. Ensevelie avec le Christ et à côté de celles des deux larrons, la croix resta longtemps ignorée. Lorsque sainte Hélène vint à Jérusalem, on retrouva bien l’endroit où la croix avait été enterrée, mais on retrouva aussi les deux autres, et grande fut l’hésitation pour choisir entre les trois. Un miracle indiqua la vraie croix ; un homme, mort la veille, ressuscita aussitôt qu’il en eut touché le bois. Sainte Hélène fit de la croix deux parts ; elle laissa l’une à saint Macaire, patriarche de Jérusalem, et emporta l’autre à Constantinople.

Des parcelles du morceau resté à Jérusalem furent distribuées aux fidèles, puis ce morceau fut pris par les Barbares. Héraclius le fit restituer et le remit lui-même dans son sanctuaire ; il porta la croix pieds nus, et cet acte d’humilité donna lieu à l’établissement de la fête de l’Exaltation de la croix. Pour ne plus m’occuper de cette portion restée à Jérusalem, j’ajouterai que les Croisés l’y trouvèrent à la prise de cette ville, répartie entre les chrétiens qui l’avaient divisée et cachée pour la soustraire aux recherches des hérétiques.

Ce fut la portion emportée par sainte Hélène à Constantinople qui fournit le morceau qui est à Saint-Pierre ; ce fut sur elle que Baudouin II, vers 1200, prit le morceau qu’il envoya à Philippe Auguste ; ce qui en restait à Constantinople avait été remis aux religieux Templiers avant que les Turcs ne s’emparassent de la capitale de l’empire de Constantin.

En recevant la précieuse relique des mains de sa mère, Constantin l’avait fait placer dans sa statue, au haut d’une colonne de porphyre, sur la place du palais ; mais, auparavant, il en avait envoyé un morceau à la basilique Sainte-Croix de Jérusalem, et c’est de cette basilique qu’est venue la portion exposée à Saint-Pierre pendant les jours saints. Le morceau envoyé par Constantin à Rome avait, rapporte-t-on, plus de trois pieds de longueur.

La Sainte Face serait, suivant quelques auteurs, un portrait de Jésus-Christ fait par saint Luc ; suivant d’autres, le visage de Jésus se serait imprimé sur un linge par un pouvoir miraculeux, et voici cette dernière version : Abgare, roi d’Édesse, était atteint d’une maladie de peau terrible ; Ananias, son confident, qui se rendait en Égypte, entendit parler des miracles opérés par Jésus-Christ ; il vint lui demander de venir à Édesse, afin de guérir son maître ; Jésus ne put se mettre en route parce qu’il sentait sa Passion approcher, mais il écrivit à Abgare, et s’apercevant qu’Ananias cherchait à reproduire ses traits, il prit un linge, le plaça sur son visage, et le linge en garda l’empreinte. Cette relique, remise par Jésus à Ananias, guérit Abgare, et ce dernier, reconnaissant, détruisit les idoles. Mais ses successeurs revinrent à l’ancien culte, et le patriarche d’Édesse dut enfermer la Sainte face dans un édicule inconnu des murs de la ville. La relique protégea longtemps Édesse ; quand la ville eut succombé, l’empereur Lécapène obtint de l’émir qui s’en était emparé la restitution de la relique moyennant un fort tribut, et, vers le milieu du dixième siècle, la Sainte face fut installée triomphalement à Sainte-Sophie. Plus tard, transportée à Rome, elle fut renfermée dans la chapelle de Sainte-Véronique. On rapporte que le dessin en est brun, faiblement indiqué, mais que le visage est doux et plein de majesté. Les voyageurs ne peuvent, au reste, jamais voir la relique autrement qu’aujourd’hui ou à quelque autre ostension solennelle.

La nuit était venue ; il restait à peine quelques lueurs qui brillaient au travers des fenêtres de l’abside ; en bas de la statue de sainte Véronique était rangé, en grand costume et agenouillé, le chapitre de Saint-Pierre ; derrière lui se tenait le public, dont la masse se perdait dans l’ombre ; on entendait le bruit sourd de la foule se répercutant dans le grand vaisseau de la Basilique ; du balcon de la chapelle supérieure, où allaient apparaître les chanoines, descendait, au bout d’une longue chaîne, une énorme lanterne de cristal, dont la lumière lançait à peine quelques rayons dans le vaste espace qui l’entourait. En bas, quelques cierges étaient allumés ; ce fut dans le silence et dans ce milieu ainsi préparé mystérieusement que la chapelle de Sainte-Véronique s’ouvrit et que les chanoines présentèrent, pendant quelques courts instants, les reliquaires contenant les objets que j’ai indiqués ci-dessus. Puis ils se retirèrent, le chapitre de Saint-Pierre se releva, rentra dans la sacristie, et le bruit du public, un instant calmé pendant l’ostension, remplit Saint-Pierre de son tumulte habituel. L’effet des reliques ainsi exposées, à la clarté vacillante de quelques cierges, tout le reste de Saint-Pierre restant sombre et mystérieux, est très-puissant.

Cette cérémonie était la dernière de la journée. Certains voyageurs, qui tiennent à tout voir, tombent réellement malades de fatigue ; je rentrai doucement sans pouvoir trouver une voiture au milieu de la foule qui s’écoulait par le pont Saint-Ange, et je griffonne ces notes avant de prendre le repos nécessaire à ma journée de demain.

Toutes les cérémonies du jeudi saint ne sont pas également imposantes. La bénédiction, l’office de la Sixtine, l’ostension des reliques, sont des cérémonies pleines de grandeur : mais le lavement des pieds, la procession des pèlerins et la Cène perdent beaucoup de leur caractère sacré par l’empressement exagéré des curieux qui se conduisent là exactement comme si aucune idée religieuse ne les préoccupait ; le seul but des voyageurs semble être de voir, toute autre idée mise à part, et hommes et femmes se poussent et s’agitent pour parvenir à une meilleure place. Les Suisses font dans cette journée un rude service ; beaucoup parmi eux sont Allemands, et on les choisit de ce pays parce que, dit-on, leur caractère calme et patient les rend, plus que d’au-