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mant colonnade) a un centre, et de ce centre, marqué par un rond de marbre blanc incrusté dans le pavage, toutes les rangées des colonnes n’en font plus qu’une, chaque rangée étant située sur le même rayon. Quelques personnes s’amusent à amener un touriste inexpérimenté, et à lui faire observer ce joujou de tracé linéaire devant lequel il est d’usage de se pâmer d’admiration. À l’intérieur de Saint-Pierre, ces mêmes personnes engagent des paris sur la grosseur des anges des bénitiers et sur la hauteur où sont placées les colombes incrustées dans les piliers de la nef. C’est ainsi qu’on cherche à oublier la fatigue, et à atteindre l’heure où le pape se rend à Saint-Pierre.

Après les Ténèbres de la Sixtine, le pape descend ; il porte le camail rouge, l’étole et la calotte blanche ; il est suivi des cardinaux qui, dans ce jour, sont accompagnés de leurs familles ; le cortége prend par l’escalier royal. Saint-Pierre a été préparé. La garde palatine forme la haie dans la Basilique, et le chapitre se rend à la grande porte afin de recevoir le Saint-Père. En tête du cortége est la croix processionnelle ; puis viennent : la maison du pape, les suisses, les gardes nobles — le Pape — le sacré-collége. Des siéges avec coussins ont été disposés comme il est d’usage les vendredis ordinaires de carême. Le pape s’agenouille devant la Confession, et aussitôt, on place devant ses yeux, avec la bougie allumée, les prières ordonnées en cette circonstance ; chaque cardinal reçoit aussi un carton portant ces mêmes oraisons ; puis la tribune de Sainte-Véronique s’ouvre, s’éclaire faiblement, et les grandes reliques sont, comme hier, offertes à la vénération des assistants. Bientôt le pape se relève, tous les cardinaux restant agenouillés, et il rentre au Vatican ; après son départ, les cardinaux se lèvent à leur tour et se retirent un à un.

Dès qu’ils furent éloignés, l’assistance, un instant recueillie, reprit son allure agitée ; chacun se dirigea vers les portes de Saint-Pierre, et tous, à pied ou en voiture, regagnèrent leurs habitations. Les Romains étaient venus dans leurs plus beaux équipages ; les Romaines avaient revêtu leurs plus riches toilettes de ville ; c’était une avalanche de soieries claires, de velours et de dentelles ; toilettes généralement riches, mais où le plus souvent manque le goût.

Comme l’ancienne fête de Longchamps en France, les trois jours de Ténèbres sont, à Rome, une occasion de pèlerinage et en même temps de distraction mondaine ; le voyageur est surpris de l’animation passagère que prennent alors les quartiers réservés à la population romaine, si tranquilles d’ordinaire.


SAMEDI SAINT.


Messe du pape Marcel à la Sixtine. — Décoration de la chapelle. — Ordre des assistants. — Nombre des chanteurs. — Baptême au Latran. — Les audiences pontificales. — Bénédiction à domicile. — Acquisitions des voyageurs.

J’ai assisté au dernier office célébré, pendant la semaine sainte, dans la chapelle Sixtine, et la messe que j’y ai entendue terminait dignement les cérémonies précédentes. Je ne sais ce que sera demain la fête de Pâques, mais jusqu’ici ce sont ces cérémonies de la Sixtine qui m’ont paru être les plus imposantes. Tout y est si bien proportionné, peintures, musique, liturgie, qu’on ne trouve qu’un reproche à faire : la présence des voyageurs curieux, trop souvent bruyants, dont les paroles et le costume forment le plus désagréable contraste avec le tableau éminemment artistique qui se développe devant eux. Heureusement ces voyageurs, fatigués, moulus, et qui avaient assisté ces trois derniers jours aux Miserere de la Sixtine, se sont tenus cois chez eux pour la plupart, et ce matin, j’ai pu, assez à l’aise, entendre d’un bout à l’autre la messe du pape Marcel. C’est, selon moi, l’office le plus complet, comme musique, auquel on puisse assister dans la Semaine sainte ; je ne puis développer ici cette partie musicale, ni indiquer les points remarquables de l’œuvre de Palestrina, mais les voyageurs qui ne font pas tous leurs efforts pour assister à cette messe du samedi, se trompent tout à fait ; ils devraient garder pour ce jour un peu de leur empressement extrême aux séances des après-midi du mercredi, du jeudi et du vendredi.

Ce fut le 19 juin 1565 que Palestrina fit exécuter pour la première fois cette messe devant le pape et les cardinaux ; il s’agissait de réformer la musique sacrée que les excès scientifiques du plain-chant avaient presque désorganisée. Palestrina avait écrit trois messes, et la troisième fut celle qui remporta tous les suffrages. Publiée deux ou trois années plus tard, Palestrina l’appela messe du pape Marcel ; ce dernier était mort depuis quelques années, et l’on ne connaît pas la raison qui fit que Palestrina donna à son œuvre le nom du saint-père qui avait eu, depuis sa mort, trois successeurs sur le trône de Saint-Pierre.

La décoration de la chapelle Sixtine est la même que pour tous les offices ; les tentures du trône, de l’autel, varient seules, ainsi que les costumes, selon les cérémonies, mais l’ornementation générale de la chapelle est celle-ci. La chapelle est partagée en trois zones distinctes : la première, formée par le plafond et la partie supérieure des murs latéraux (partie dans laquelle sont percées les fenêtres), est couverte des fresques de Michel-Ange ; la deuxième est formée d’une partie plate des murailles, au-dessous des fenêtres, et cette partie est couverte de peintures de beaucoup inférieures à celles de Michel-Ange ; elles sont de Signorelli, F. Pérugin et Ghirlandajo ; la troisième zone commence au-dessous de ces peintures et va jusqu’à terre ; elle est décorée en trompe-l’œil, et représente des draperies régulières, rattachées par de gros nœuds ; c’est là un système de décoration fréquent à Rome et qui n’est pas des plus gracieux. Heureusement les estrades des assistants ecclésiastiques, le trône du pape, les groupes nécessités par le cérémonial, cachent presque complétement ces draperies sous l’éclat des étoffes et le pittoresque des mouvements. Au fond, le Jugement dernier occupe le panneau tout entier de la chapelle ; le bas seul est un peu caché par une tapisserie, représentant l’Annon-