Page:Le Tour du monde - 15.djvu/250

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elle n’est séparée de l’autel que par une distance de 6 à 8 mètres, et elle est située tout à fait sur l’axe du transept droit ; ajoutons à ces avantages de position que lors des cérémonies, si l’office commence à 10 heures, les privilégiées, pourvues de billets, peuvent en toute sécurité n’arriver qu’à 9 heures 3/4. Hélas ! pourquoi les hommes n’ont-ils pas aussi une petite tribune réservée à leur usage ; je suis resté debout depuis 7 heures du matin jusqu’à midi et demi sans possibilité de m’adosser quelque part ; mais n’anticipons pas.

J’avais pris une voiture pour me rendre à Saint-Pierre, et tout le long de la rue Tordinona et du Borgo, on eût dit deux processions ; une moitié des voitures allaient dans un sens, une moitié dans l’autre ; celles qui se dirigeaient vers Saint-Pierre étaient invariablement garnies d’un monsieur en habit noir, en cravate blanche, accompagnant une dame en noir ou d’autres personnages habillés comme lui ; les voitures, qui revenaient vers Rome, étaient vides et se hâtaient pour aller chercher de nouveaux clients. Le fort Saint-Ange était pavoisé, les troupes pontificales avaient à leurs casques de petites branches vertes en signe de réjouissance ; la garde palatine était en grande tenue et les simples soldats semblaient être leurs officiers, tant ils brillaient.

J’eus le temps de voir préparer le mobilier ecclésiastique en attendant l’heure de l’office. Le changement depuis le vendredi saint était extraordinaire et formait un contraste frappant ; au lieu de l’autel sombre et nu, il y avait un autel étincelant de broderies et de dorures ; un retable magnifique le garnissait ; les reliquaires les plus précieux brillaient sur l’autel et les cierges de la Chandeleur, splendidement décorés, luttaient de couleurs avec un énorme cierge pascal placé près de l’autel dans un candélabre d’un grand style renaissance.

Pour certaines cérémonies, Saint-Pierre est décoré d’une manière très-bizarre. Lors de la canonisation des martyrs japonais, les grands arceaux, qui font communiquer la nef avec les bas côtés, n’avaient pas été laissés nus et simples ; on avait ajouté, à côté des piliers, des colonnes corinthiennes réunies par des plates bandes ornées, décorées de draperies et enguirlandées de lustres. En 1712, on raconte, que pour la glorification de plusieurs saints, une sorte d’estrade, de scène, avait été dressée dans l’abside de Saint-Pierre ; et ce fut sur cette estrade que le pontife procéda, entouré de ses cardinaux, à la proclamation de la sainteté de certains martyrs ; le dessin du théâtre existe, avec le nom de théâtre, dans les cérémonies religieuses de Picart, publiées au siècle dernier.

Revenons à la cérémonie du jour. Les dames, qui étaient restées debout, commençaient à souffrir réellement de la fatigue ; deux d’entre elles s’évanouirent et furent emportées. Quelques anglaises prévoyantes avaient dans leurs poches des pliants microscopiques introduits en fraude ; celles-là du moins purent s’asseoir un peu et n’eurent pas le chagrin d’être réduites par le malaise à quitter Saint-Pierre après tant de peines sans assister à la solennité religieuse de ce jour.

La haie s’était formée dans la Basilique ; les gardes palatins et l’infanterie pontificale attendaient le Pape, et les rangs des soldats s’étendaient depuis le portique de Constantin, au bas de l’escalier royal, jusqu’à la hauteur du Saint-Pierre de bronze dans la nef ; là, les suisses en grande tenue faisaient le service. Les cardinaux, les prélats s’étaient réunis au Vatican, et l’arrivée de ces hauts personnages, avec les carrosses de gala, est un des spectacles les plus curieux du jour ; les voyageurs qui n’osent braver la longue attente dans Saint-Pierre ou qui ont déjà assisté à la messe de Pâques, ne manquent jamais de se placer sur le passage des cardinaux.

Vers 10 heures, le Pape descendit l’escalier royal, porté sur la sedia ; la grande porte s’ouvrit et le cortége entra dans la Basilique. Pour la première fois la musique militaire, placée dans le vestibule haut de Saint-Pierre, accompagnait l’entrée du cortége. Je n’ai pas indiqué, le jour des Rameaux, l’ordre exact de la procession ; voici la liste des personnages composant la suite du Pape, dressée d’après les indications de M. l’abbé de Montaut, dans son Annuaire liturgique et d’après Cancellieri :

Un maître des cérémonies. — Les procurateurs ou procureurs (ils répondent à peu près à nos avocats et sont officiellement nommés pour étudier les principales causes). — Le prédicateur apostolique (il prêche les mercredis et vendredis du carême, souvent devant le Pape qui se tient derrière une grille). — Le confesseur de la famille papale. — Les procureurs des ordres religieux en costumes. — Le joaillier du Vatican, précédant des bussolanti porteurs des tiares posées sur des coussins. — Les chapelains portant les mitres. — Les massiers. — Les camériers avec l’épée, la fraise, le pourpoint et le petit manteau. — Les chapelains chanteurs. — Les abréviateurs (secrétaires chargés de résumer les lettres reçues au Vatican). — Les auditeurs de rote et les maîtres du palais. — Les abbés mitrés. — Les évêques, archevêques, patriarches, cardinaux diacres, cardinaux prêtres, cardinaux évêques. — Les conservateurs, le prince assistant, le gouverneur de Rome. — Le capitaine des suisses. — L’état-major de la garde noble, le général des troupes papales. — Les huissiers, massiers et suisses.

Le Pape s’avance sur sa sedia, la tiare en tête, couvert du dais, entouré de ses éventails ; à côté de lui marchent les suisses portant les sept épées des cantons suisses.

Après le Pape vient sa maison, puis les généraux d’ordres religieux et le chapitre de Saint-Pierre.

Il est difficile de se faire une idée de la richesse de ce cortége ; les cérémonies qui ont eu lieu depuis les Rameaux ne peuvent en donner la moindre idée ; l’Église romaine développe, pour la fête de Pâques, toute la splendeur qui est en son pouvoir, et cette journée mérite à elle seule la peine que se donnent chaque