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année plusieurs milliers de catholiques se rendant à Rome uniquement dans le but d’assister à la messe Pontificale.

Les suisses accompagnent aussi le cortége et sont disséminés sur les côtés de la procession ; au lieu du pourpoint ou de la cuirasse unie, ils portent cuirasse et casque damasquinés d’or ; les archevêques sont en pluvial blanc frangé d’or, et les patriarches grec et arménien resplendissent sous leurs costumes brodés, en style byzantin, des dessins les plus riches ; les cardinaux portent la mitre blanche ; les conservateurs de Rome ont la toge de drap d’or ; le capitaine des suisses est revêtu d’une armure complète damasquinée comme la cuirasse de ses soldats ; les gardes nobles sont en rouge avec grandes bottes et culottes blanches ; tout le chapitre de Saint-Pierre et en rouge et hermine.

Le chœur de la chapelle pontificale chantait le motet : Tu es Petrus.

Les tiares, portées par les bussolanti, attiraient tous les regards ; elles sont d’une richesse extraordinaire et l’une d’elles, donnée au pape Pie VI par Napoléon Ier, a coûté, dit-on, près d’un million de francs ; ces tiares, au nombre de 3, sont placées sur l’autel pendant la messe ; avec les candélabres dessinés par Michel-Ange, avec les reliquaires, les statues dorées de saint Pierre et saint Paul et les accessoires nécessaires au culte, elles complètent un mobilier ecclésiastique d’une richesse inouïe, et généralement du style le plus parfait jusque dans les moindres détails. Ces tiares portent 3 couronnes qui ont une signification ; elles sont en même temps une allusion à la Trinité et aux trois vertus théologales, et signifient que le Pape est revêtu des dignités de Père, de Roi et de Vicaire de Jésus-Christ. Au reste cette triple couronne, accessoire noble et riche, a donné lieu à bien des discussions et à bien des interprétations. Dans les premiers temps où les Papes ont porté la tiare, il n’y avait qu’une couronne ; plus tard il y en eut deux et elles signifiaient, dit-on, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ; un peu plus tard encore, la tiare porta 3 couronnes, et depuis ce temps elle n’a plus changé. En Italie on l’appelle le Trireguo.

Le pape Saint-Sylvestre, en 336, passe pour avoir le premier porté une couronne sur la tiare ; Boniface VIII, mort en 1303, ne portait lui-même encore qu’une couronne. Clément V et Jean XXII en portaient deux (et c’est alors que la double couronne aurait symbolisé les deux trônes de Rome et d’Avignon). — Urbain V, mort en 1370, portait le triple diadème, et depuis lui, ses successeurs l’ont aussi porté. Ces renseignements ont été en grande partie tirés des collections d’anciennes peintures et des vieilles mosaïques, surtout de celles qui existaient à la basilique Saint-Paul hors les murs et qui ont malheureusement disparu dans l’incendie de 1823. Quant à la tiare elle-même, sa forme n’aurait pas toujours été la même, et aurait consisté, lors des premiers temps de la papauté, en un bonnet bas, fait de pourpre, avec des fanons pendants.

Le nombre des tiares d’étiquette et de luxe est de quatre. — 1o Celle que j’ai indiquée ci-dessus, donnée par l’empereur Napoléon Ier en 1805 : elle est garnie de diamants, saphirs, émeraudes, rubis et perles ; son poids est de 8 livres ; — 2o la seconde a été achetée sous Grégoire XVI ; elle est moins riche et pèse 3 livres (c’est sans doute, vu sa légèreté, celle que le Saint-Père porte en tête) ; — 3o la troisième a été donnée par la reine d’Espagne en 1854 ; elle est ornée de 18 000 diamants et 1 000 pierres précieuses ; elle ne pèse que 3 à 4 livres ; — 4o la quatrième a été donnée par la garde palatine en 1860, lors de l’anniversaire du couronnement du Saint-Père.

Les épées des cantons rappellent le dévouement des suisses pour le saint-siége pendant le seizième siècle. — Ce sont de longues et lourdes épées flamboyantes dites épées à deux mains. Cette arme se marie fort bien avec le costume de la garde suisse, comme au reste tous les accessoires de ce jour ; quoi qu’en dehors de nos habitudes, ils semblent tout naturels ; on se sent transporté dans un monde exceptionnel, qui n’a pas changé, et a conservé intacts, au milieu de notre civilisation moderne, ses cérémonies, son étiquette, ses idées et ses costumes.

Les éventails sont un reste de l’ancien flabellum employé dans l’Église primitive pour agiter l’air autour des éléments de la communion ; ils sont devenus un ornement du cortége pontifical ; on les fait avec les plumes des paons et des autruches appartenant au Saint-Père, et que l’on peut voir dans les ménageries réservées du Quirinal.

Longtemps avant l’arrivée du cortége, les corps diplomatiques, les personnages officiels, s’étaient réunis dans l’abside ; et lorsque le Pape, s’étant assis sur son trône, un ordre parfait se fut établi dans ce long espace rempli de monde, les yeux furent émerveillés de la splendeur et de la grandeur solennelle de cette admirable cérémonie.

L’office se célèbre comme aux Rameaux, mais tout affecte une allure majestueuse. Je ne sais qui a tout réglé, mais l’art ne peut être poussé plus loin ; j’emploie le mot art avec intention, car lorsque la dignité des mouvements, l’équilibre des groupes, l’ensemble des couleurs, l’alliance profonde du cérémonial avec l’idée religieuse, sont portés à ce point, cela peut s’appeler de l’art et du grand art.

Une fois le pape assis sur son trône, il prit une mitre de drap d’or, (le pape ne conserve pas la tiare alors qu’il se dispose à approcher de l’autel), et les cardinaux, évêques, patriarches, vinrent à l’obédience, c’est-à-dire, embrasser le genou ou le pied du saint-père, selon leur rang et leur dignité. Puis le pape procéda à sa toilette, appelée la vêture des habits sacrés. Le costume qu’il revêt, blanc et or, est superbe ; il descend du trône, et monte à l’autel, mais d’abord il embrasse deux cardinaux diacres (les plus jeunes) qui se trouvent sur son passage ; ce cérémonial rappelle la première entrevue de Jésus-Christ et de ses disciples après la résurrection.