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Je ne puis suivre pas à pas la messe entière que le saint-père, assisté du cardinal *** dit avec la plus majestueuse grandeur au milieu de ce cadre magnifique dont je n’ai pu indiquer que les principaux traits. Mais je dois parler de deux moments très-célèbres de cette messe de Pâques.

À l’élévation, le pape se tourne successivement vers les quatre points cardinaux, fait la consécration et se retire sur son trône. Pendant qu’il présente l’hostie au ciel, la musique des gardes nobles fait entendre une harmonie militaire. Je regrette que le choix du morceau exécuté n’ait pas été mieux dirigé ; c’était une cavatine italienne, jouée très-adagio, mais dont le style ne s’harmonisait. pas avec la majesté du service divin ; une phrase courte, nette, grandiose, comme Beethoven, Bach ou Mendelshonn savaient les faire, serait bien plus émouvante et l’effet en serait réellement prodigieux. L’orchestre militaire est invisible ; il est placé dans le haut de la coupole ; l’éloignement adoucit beaucoup les sons et leur donne une allure mystérieuse ; que serait-ce donc si la musique était réellement religieuse ! L’impression est cependant belle et d’autant plus saisissante que l’on n’a pas coutume d’entendre de musique instrumentale dans Saint-Pierre. Les voyageurs, race crédule s’il en fût jamais, ont adopté à propos de cette musique une tradition à laquelle il est impossible de les faire renoncer. Ils prétendent que le jour de Pâques, on place dans la coupole des musiciens porteurs de longues trompettes en argent, faites sur le modèle des trompettes que les anges portent dans les jugements derniers. Ils ne peuvent penser que l’effet produit vienne simplement de l’éloignement et de la douceur des sons ; il leur faut de toute nécessité la fable des trompettes d’argent. C’était la musique des gardes nobles ; musique au reste exercée et choisie, entretenue aux frais des gardes nobles eux-mêmes ; seule, elle a le droit de jouer dans ces cérémonies et parfois ainsi dans les jardins du Vatican, quand le saint-père le désire.

Après la consécration, le cardinal diacre envoie au pape l’hostie avec laquelle il communiera. L’hostie est partagée sur l’autel et posée sous une astérisque d’or ; le pape se communie assis et donne, assis, deux fractions de l’hostie au diacre et au sous-diacre restés debout. Puis le diacre retourne à l’autel et envoie au saint-père le vin versé dans le calice ; il y joint le chalumeau d’or. L’usage du chalumeau était général dans l’église chrétienne primitive ; fabriqué d’après des lois particulières, il restait dans le calice, et le célébrant l’offrait à la bouche des fidèles qui aspiraient le vin de la communion ; l’hostie ayant été généralement adoptée dans l’église catholique, l’usage du chalumeau tomba peu à peu en désuétude et je crois qu’il ne reste plus de trace de cet usage, si ce n’est à Rome dans les messes pontificales de Noël, Pâques et la Saint-Pierre. Le chalumeau envoyé au pape est en or ; le saint-père absorbe une partie du vin, le diacre à l’autel en absorbe une seconde partie en se servant du même bout du chalumeau ; puis le sous diacre hume, par les deux bouts du chalumeau, le vin qui reste au fond du calice. Ainsi le pape, le cardinal diacre officiant et le sous-diacre, communient seuls suivant cet ancien cérémonial qui étonne beaucoup un certain nombre de voyageurs. Ce rite, dans lequel le pape communie assis, et donne l’hostie aux officiants restés debout, rappelle Jésus donnant la Pâque à ses disciples, et aussi les Israélites, mangeant, debout et à la hâte, quelques provisions avant de sortir de l’Égypte.

C’est tout au plus si les voyageurs pressés de se rendre sur la place et d’y arriver en bon rang, laissèrent au saint-père le temps de communier au milieu du recueillement ; chacun gagna le vestibule, et cette conduite était irrévérencieuse. On entendit bientôt des cris près des grandes portes ; les dames, trop serrées par la foule, s’évanouissaient de plus belle. Parmi les traditions adoptées par la crédulité voyageuse, il en est une qui rapporte qu’une jeune anglaise fut écrasée sous la porte de Saint-Pierre un jour de Pâques ; depuis ce temps, quelques dames tremblent au moment de la sortie et crient d’avance sans qu’il y ait le moindre danger. D’ailleurs, il est inutile de se tant hâter ; pendant que le pape remonte à la loggia, on a fort bien le temps de sortir sur la place ; puis, outre l’inconvenance de se bousculer autour de l’autel pendant la communion, le voyageur qui quitte ainsi Saint-Pierre perd une cérémonie intéressante. Lorsque le pape descend de l’autel, le cardinal archiprêtre de la Basilique, escorté d’une partie du chapitre, s’approche et présente à Sa Sainteté une bourse contenant trente Jules d’or (ancienne monnaie), comme rémunération, suivant un antique usage, de la messe qu’il est venu chanter dans Saint-Pierre. Le pape accepte l’offrande ; et cette offrande, remise au caudataire du cardinal diacre assistant, retourne au chapitre qui remet en échange, au caudataire, un cadeau d’argent dont j’ignore la valeur.

Avant de quitter Saint-Pierre, le pape adore les Grandes reliques dont on fait une courte ostension, puis il se dirige vers la galerie supérieure du vestibule. C’est en ce moment qu’il faut mettre à profit ses connaissances de la topographie du Vatican et de ses aboutissants pour ne point perdre de temps et arriver sur la place pour la bénédiction.

Un spectacle extraordinaire m’attendait à la sortie ; ce n’était plus comme le jeudi saint où la place paraissait vide ; la foule était compacte depuis le vestibule jusqu’aux rues débouchant du Borgo ; il y avait des curieux partout, jusque sur les toits du Vatican, à une hauteur à donner le vertige ; toutes les fenêtres étaient occupées, même celles de la façade de Saint-Pierre ; il y avait des hommes sur les cloches qui allaient bientôt se mettre en branle ; les objectifs des photographes brillaient sur les combles des maisons ; jamais je n’aurais cru possible de réunir sur la place Saint-Pierre une pareille fourmilière humaine ; piétons, chevaux, soldats, voitures, paysans, voyageurs, tous étaient serrés, pressés les uns contre les autres, et toute cette foule, éclairée par la lumière pure et éclatante du ciel romain, paraissait resplendissante. Sur les marches et le terre-plein de la Basilique, étaient