Page:Le Tour du monde - 15.djvu/255

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son illumination. La coupole ainsi éclairée est d’un grand effet, et la promptitude avec laquelle l’illumination se métamorphose est réellement merveilleuse.

Les petits pots sont soit des lampions, faits à la proportion de Saint-Pierre, soit de larges terrines ; les gros pots à feu, de la taille des demi tonneaux, relèvent l’illumination par la vigueur de leur éclat, et composent le deuxième feu. Les allumeurs sont suspendus à de longues cordes qui se balancent sur la coupole et la façade ; les personnes qui ont fait l’ascension de Saint-Pierre, ont vu, sur les arêtes de la coupole et sur les murailles du tambour, les crampons qui servent à cette rude besogne ; le métier d’allumeur est dangereux, et demande du sang-froid et de l’expérience. Une moitié seulement de la coupole est éclairée ; le côté de la campagne reste obscur ; l’illumination de la croix est si puissante, qu’on prétend l’apercevoir en mer entre l’embouchure du Tibre et Civita-Vecchia. Sur la Basilique, il y a cinq mille cent quatre-vingt-onze lampions ou pots à feu ; les allumeurs sont au nombre de trois cent soixante-cinq. Michel Ange, auquel on attribue tout ce qui se fait de grand à Rome, aurait été le dessinateur de l’illumination, et aurait trouvé là le moyen de faire bien juger de la forme de tiare, donnée par lui à la coupole ; est-ce vrai ? Je ne sais. J’abrége ces détails ; il est fort tard, et cette lettre est déjà longue.

Ce soir, Rome entière était sur pied ; la place Saint-Pierre était comble comme ce matin ; piétons et voitures, enclavés, ont assisté à l’illumination. Certains industriels ont trouvé leur compte à cet empressement ; un de mes amis a eu sa montre volée fort adroitement. Toute foule attire les filous. À Rome, au reste, on a l’air de prendre de grandes précautions ; toutes les portes des appartements sont garnies d’un guichet, et munies, en outre, d’une chaîne et d’une forte barre ; des verroux complètent l’ornementation, si ce mot peut s’appliquer à cette armure ferrée ; jamais un Italien n’ouvre sa porte sans regarder par le guichet et demander : « Qui est là ? » Les maisons de Rome, ayant rarement des concierges, ces précautions ne sont pas inutiles. On raconte beaucoup d’histoires sur les filous et les voleurs italiens, histoires plus ou moins authentiques ; en voici une petite qui m’a paru assez comique. — C’était à Naples, il y a déjà longues années ; un officier se promenait fièrement à la Villa-Reale ; il était littéralement cousu d’or ; son uniforme resplendissait, et de plus il affectait un genre qui pouvait faire supposer sa bourse bien garnie. Un jeune filou se glisse près de lui ; ne trouvant pas la bourse, peut-être absente, il introduit la main dans la poche de l’habit et en tire un mouchoir, mais un mouchoir hideux, sale et en loques. Le filou passe fièrement devant le promeneur, se retourne, et, tenant délicatement le chiffon entre le pouce et l’index, il ne prononce que ces mots d’un air de reproche :

« Ah ! signor ! per uno cavaliere !  ! » Il jette avec dégoût le mouchoir qu’il avait tiré avec tant de prestesse, et s’éloigne d’un air digne.

Bonsoir ; je vais me reposer ; j’en ai bon besoin après la longue station que j’ai faite, sur mes pauvres jambes, depuis sept heures du matin jusqu’à quatre heures du soir.


LUNDI DE PÂQUES.


Le Pincio et la Tarentelle. — La place du Peuple et le feu d’artifice. — Adieu.

La semaine sainte est terminée, je rentre chez moi après avoir assisté au feu d’artifice, sorte de récréation qui dans toutes les fêtes humaines est du goût de tous les âges ; pourquoi cet amour de la foule pour quelques fusées brillantes qui s’évanouissent aussitôt en fumée ? Je ne pense pas que ce soit par un retour de pensée philosophique sur l’incertitude des grandeurs humaines. Cette joie dont je viens d’être témoin était trop bruyante, trop en dehors, pour que je soupçonne la population entassée sur la place du Peuple d’avoir vu dans cette réjouissance pyrotechnique autre chose que l’éclat même des jeux de lumières.

Ce matin, je me suis livré avec plaisir aux délices de la grasse matinée ; c’était la première fois depuis dix grands jours, et la plupart des voyageurs a fait de même que moi. Quelques-uns cependant ont été à la Sixtine, où le service divin reprenait le cours des lundis ordinaires ; quelques autres sont partis déjà pour Civita, Florence ou Naples, selon la direction de leur voyage. Comment cette masse d’étrangers va-t-elle s’écouler ? C’est ce que je me demande avec quelque étonnement. Tout mon quartier semble déménager ; je n’ai vu que des malles énormes qui s’entassaient sur des voitures, et les grelots des chevaux, se dirigeant vers Ponte-Molle, n’ont pas cessé un moment de retentir tout le jour sur la place d’Espagne.

J’ai été me promener dans le bosquet de l’académie de France ; le Pincio était fermé pour les préparatifs du feu d’artifice, et j’ai joui encore du beau panorama de Rome ; le temps était splendide ; sur le gazon, renfermé dans les allées couvertes qui se coupent à angles droits, quelques paysans romains, en attendant le soir, dansaient la tarentelle.

La fameuse tarentelle n’est pas au reste aussi élégante que le laissent à penser les danseuses de l’Opéra dans la Muette de Portici ; peut-être, au fond de la Calabre, la tarentelle a-t-elle plus de caractère ; peut-être est elle plus gracieuse à Sorrente ou à Naples ; mais, pour celle que j’ai vue, aujourd’hui, elle m’a rappelé une danse d’une de nos provinces, trop dédaignée d’ailleurs, mais qui n’est un prodige ni de légèreté, ni de grâce ; les acteurs étaient peut-être aussi trop inexpérimentés, mais, qu’ils en portent la faute, mon opinion sur la tarentelle, est que ce n’est rien de plus que la bourrée auvergnate, et les tableaux nombreux qui se vendent à Rome et la représentent, ne me feront pas changer d’avis.

Vers huit heures, je me dirigeai vers la place du Peuple ; elle était couverte de monde ; la foule était coupée de distance en distance par les files des soldats de service. Les musiques militaires alternaient dans les