Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trente-deux pieds de profondeur, et contient jusqu’à quatorze pieds d’eau d’une excellente qualité.

Le château est construit sur un haut rocher : l’entrée est défendue par deux tours massives dans le style normand. Un boulet attaché à une chaîne de fer tient lieu de sonnette. On me montra d’abord, dans la première cour, la grande salle et le donjon où fut enfermé pendant vingt ans Marten un des juges de Charles Ier. Jeremy Taylor fut aussi emprisonné dans ce château en 1656. La seconde cour est transformée en jardin. Dans la troisième, on remarque quinze arceaux parfaitement conservés qu’on dit avoir appartenu à la chapelle. D’une chambre taillée dans le roc, on aperçoit les sinuosités de la Wye couverte de grands bois touffus.

En sortant du château, je traversai le pont en fer de la Wye, et je montai sur une hauteur désignée sous le nom de Double View. On y jouit d’une vue splendide des environs de Chepstow.

Le lendemain, après avoir suivi les belles rives de la Severn, j’arrivai à Newport, petite ville commerçante et maritime, dont la prospérité s’est rapidement accrue. Les antiquités sont l’église saxonne de Saint-Woollos et le château. Ce dernier fut bâti par le célèbre Robert Fitzham pour protéger l’entrée de la rivière et l’aider à conserver sa conquête du Glamorgan. La tour carrée, qui servait sans doute de donjon, et la salle baroniale méritent d’être visitées, mais l’archéologue voit avec peine cette belle ruine transformée en brasserie.

Mon principal but, en m’arrêtant à Newport, était d’aller voir Caerléon, la cité des romans et des légendes, l’antique résidence du roi Arthur. Une route charmante y conduit par la vallée de l’Usk, et passe près de Christchurch, dont l’église contient une pierre sépulcrale du quatorzième siècle ; de chaque côté d’une croix, y sont sculptés deux personnages, un homme et une femme, ayant les mains fermées. Les paysans des environs ont conservé longtemps la croyance que les enfants malades qui touchaient cette pierre et restaient pendant toute la nuit en contact avec elle, étaient miraculeusement guéris.

Caerléon fut la principale station des Romains dans le pays des Silures, et, pendant leur domination sur l’île de Bretagne, la capitale de la province de Britannia Secunda. Après l’établissement du christianisme, elle en devint la métropole ; mais David, le saint national du pays de Galles, trouvant le mouvement bruyant d’une ville populeuse, comme Caerléon, peu en rapport avec ses goûts contemplatifs et solitaires, transporta le siége épiscopal à Menevia, qui depuis cette époque a été appelée Ty-Dewi[1] par les Gallois, et Saint-David par les Anglais.

C’était une ville d’une grande importance, « la cité des légions, » et d’après le récit de Giraldus Cambrensis, nous pouvons juger de ce qu’elle était encore au douzième siècle : « On y voit encore, dit-il dans son Itinerarium Cambriæ, beaucoup de vestiges de son ancienne grandeur ; des palais splendides, dont les toits dorés rivalisaient avec ceux de Rome ; une tour gigantesque, des bains, des ruines de temples, et un théâtre, dont les murs subsistent en partie. On y voit, à l’intérieur et au dehors des murs, des constructions souterraines, des aqueducs, des passages voûtés ; et, ce qui me parut le plus remarquable, des tuyaux si habilement disposés, qu’ils distribuaient leur chaleur à travers de petits trous cachés et imperceptibles. » Près de sept siècles se sont écoulés depuis le temps où écrivait Giraldus : combien tout a changé dans Caerléon ! Aujourd’hui, il ne reste plus de la ville romaine que des pans de murailles et une enceinte qui est fort loin d’être aussi bien conservée que celle de Caerwent. « Cette enceinte a la forme d’un carré long imparfait ; trois des côtés sont droits, et le quatrième, comme le mur du nord de Caerwent, est curviligne ; les angles sont arrondis comme ceux des stations romaines en Bretagne, et correspondent à peu près aux points cardinaux. » Le mamelon artificiel sur lequel s’élevait « la tour gigantesque » dont parle Giraldus, existe encore. C’est un énorme tumulus d’aspect celtique ; il se trouve dans le jardin d’un particulier, M. Hogskee, et mérite d’être examiné. Les Normands y construisirent un château dont les ruines, au milieu du siècle dernier, avaient encore quarante pieds de haut. Dans le pays, on l’appelle la butte du roi Arthur, et la tradition rapporte que c’est là qu’il venait d’habitude dîner avec ses chevaliers. En creusant, on a découvert des chambres voûtées, sans doute celles dont parle Giraldus. J’ai vu dans le jardin un grand nombre d’antiquités romaines : beaucoup d’autres ont été réunies dans un musée fort curieux qui contient aussi des objets de provenance celtique.

Dans un champ, près du musée, se trouve une enceinte creuse de forme elliptique qu’on appelle la Table ronde du roi Arthur ; elle à deux cent vingt-deux pieds de long, sur cent quatre-vingt-dix de large. En fouillant de chaque côté, on a trouvé des rangs de gradins en pierre ; ce qui n’a plus permis de douter que ce ne fût l’amphithéâtre romain. Tout auprès j’ai observé le mur qui entourait toute la ville, et dont les pierres sont reliées entre elles par ce beau ciment dont l’on croit à tort que les Romains ont gardé le secret.

On ne peut visiter Caerléon sans se rappeler l’époque romanesque ou le héros breton Arthur y tenait sa cour, « sept fois à Pâques et cinq fois à Noël. Les rois couronnés venaient lui rendre hommage avec une suite nombreuse de comtes et de barons, et il ne fallait rien moins qu’un obstacle invincible pour les empêcher de s’y trouver. » Aucun des personnages des romans gallois n’a laissé une plus fonte trace qu’Arthur. Son nom est resté profondément gravé dans le cœur du peuple, et son auréole chevaleresque et poétique l’a rendu fameux dans toute l’Europe.

Le roi Arthur est le point central autour duquel se meut un monde légendaire dont les personnages ont servi de prototypes aux trouvères du douzième siècle.

  1. Maison de David.