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tiennent des restes fort intéressants de l’ancienne musique des bardes Gallois. Je vis aussi la collection d’airs et de mélodies recueillis par miss Williams d’Aberpergwm ; c’est un vrai collier de perles, et certes l’éditeur a droit d’être fier d’un tel joyau.

Il est étonnant que la musique du pays de Galles, soit restée ignorée du reste de l’Europe ; c’est pourtant une des plus anciennes qui existent. Le moyen âge l’a connue un instant ; depuis, elle est restée dans ce coin de la Grande-Bretagne comme une mine dont l’entrée aurait été cachée par un éboulement. Quelques airs seulement ont pénétré jusqu’à Londres.

Les Gallois ont un instrument national qu’on appelle la Telyn, c’est une harpe qui offre la particularité d’un triple rang de cordes. La telyn a été inventée, dit-on par Idris, un des trois bardes primitifs de l’île de Bretagne, les deux autres étaient Eidiol le magicien et le roi Beli. C’était l’instrument favori des Bardes. On rapporte que dans ce mélodieux pays les évêques et les abbés des premiers siècles chrétiens avaient leur harpe comme les Bardes[1]. La rangée du milieu correspond aux touches noires du piano. On joue de la telyn sur l’épaule gauche et de la main gauche. Ce qui rend l’autre harpe si facile à manier, me disait une jeune dame, c’est qu”il ne s’agit que de faire le contraire. La telyn est un instrument si difficile, que les musiciens du continent et de l’Angleterre ne veulent pas l’apprendre. Elle possède néanmoins une grande supériorité sur la harpe ordinaire ou à une rangée de cordes ; chez la telyn, les grosses cordes suffisent à donner le volume de son le plus ample, tandis qu’avec l’autre harpe, on ne peut, qu’au moyen d’une pédale, obtenir le même résultat. Le mot telyn est d’une grande antiquité.


Le château de Lanover. — Dessin de Grandsire d’après M. A. Erny.

Le cap qui commande la rade de Toulon (cap Ceret), s’appelait anciennement le promontoire des Citharides (ou des joueurs de harpe), et la ville elle-même Telo-Martius.

Les Gallois avaient encore d’autres instruments de musique, comme la rhôte, la cornemuse, le tambour et le cornet ou trompe, mais ils ne s’en servent plus depuis longtemps.

Comme je manifestais le désir de voir et d’entendre une de ces belles harpes touchée par une main habile ; milady fit venir son harpiste Griffith, qui est logé et entretenu par le seigneur, comme l’était en Écosse le joueur de cornemuse. Anciennement, tous les châteaux du pays de Galles avaient leur joueur de harpe, mais tous les jours les vieilles traditions s’effacent dans les hautes classes, et les trois quarts de la noblesse galloise ont à peu près oublié les mœurs et la langue nationales.

À deux reprises, et toujours avec un plus vif plaisir, je l’entendis interpréter les mélodies galloises. Dans les variations, il obtenait des effets ravissants qu’il serait impossible, je crois, de produire avec la harpe ordinaire. Tenant, d’une main, une note en pizzicato accentué et lent, tandis que, de l’autre, il joue l’air en pizzicato plus léger, il diminue peu à peu le son et le fait mourir et renaître selon son caprice. Une autre fois, je le vis faire des arpéges sur les petites cordes, et piquer les notes graves de son air sur les grosses cordes. Quand il eut terminé, une jeune paysanne vint chanter des romances accompagnées par la harpe. (Je dois noter un fait curieux, c’est que pour certains airs la telyn a besoin d’être accordée d’une façon particulière.) Descendant belle et pure de la haute galerie, la voix de la chanteuse produisit sur moi un effet prodigieux, car ces airs originaux ne ressemblent à rien de ce que je connaissais déjà. Ce qui me frappa surtout, ce sont les

  1. La Telyn était alors beaucoup plus simple qu’aujourd’hui : on ne sait pas au juste l’époque de l’introduction du triple rang de cordes (note de M. Henri Martin).