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Les Européens, c’est-à-dire les Russes et quelques Allemands, se promènent dans les rues, sur les quais, au milieu de la population travailleuse, assise ou plutôt couchée sous les péristyles.

Un fléau qu’on rencontre un peu partout dans les pays chauds, mais qu’Astrakan semble posséder au grand complet, c’est la multitude de cousins, moustiques et autres insectes… trop amis de l’homme. Les moustiquaires les plus serrés, l’obscurité la plus complète, ne peuvent vous en garantir. Il faut attribuer leurs innombrables bataillons aux terrains marécageux qui entourent la ville et au voisinage du fleuve.

Aussi l’hiver, si rude qu’il soit, est-il accueilli avec plaisir, et sa durée un peu prolongée, en détruisant les larves de tous ces parasites, est une garantie de tranquillité pour l’été qui suit.

Les marchandises d’Orient, qui autrefois encombraient les magasins, sont assez rares à présent, sauf les termatamas soyeuses et les tapis du Turkestan. Les bateaux ne chargent guère que les produits de la pêche du Volga et de la mer Caspienne ; ceux qui descendent apportent des bois à brûler, des bois de construction et des marchandises russes.

La banlieue d’Astrakan est renommée pour ses cultures ; les Arméniens sont d’excellents jardiniers, leurs fruits sont magnifiques, le raisin surtout peut soutenir la comparaison avec les plus belles espèces connues dans le bassin méditerranéen, et pourtant le vin fait avec ce raisin est assez médiocre. Les melons d’Astrakan sont d’une qualité supérieure, on les vend pour rien ; mais les indigènes préfèrent ceux de Kerson ou de Crimée, qu’ils payent plus cher et qui ne les valent pas.


Troupe de pélicans pêchant dans un bas-fond. — Dessin de Moynet.

L’eau potable est une rareté dans cette ville située au milieu des eaux. Les bras du Volga, par leur contact avec la mer Caspienne, ne donnent qu’un liquide saumâtre. Quelques citernes alimentent la ville. On a essayé le forage d’un puits artésien sur une place, mais au lieu d’eau on a trouvé du feu, et ce grand travail a donné un bec de gaz au lieu d’une fontaine.

Le gouverneur d’Astrakan a eu l’extrême obligeance de faire prévenir le prince Toumaine, hetmann des Kalmouks, que des Français, arrivés depuis peu, désirent lui faire une visite. Un messager, envoyé par le prince, vient nous dire que nous sommes les bienvenus, que le prince veut nous donner une fête et nous autorise à faire autant d’invitations que cela nous conviendra.

En même temps, nous recevons avis que nous sommes attendus à une pêcherie située entre le Volga et la mer Caspienne, dans une des soixante-douze embouchures du fleuve.

Nous voilà sur les bras bien de l’occupation, sans compter une cérémonie d’inauguration d’un nouveau barrage et deux ou trois parties de chasse dans les îles qui nous entourent ; car nous sommes justement au moment du passage ; tous les jours nous voyons des bandes d’oies, de canards accourant du Nord, ou la neige tombe déjà depuis longtemps, pour chercher une température relativement plus douce sur le littoral de la Caspienne.

En attendant, nous visitons la ville, et, grâce au gouverneur, nous sommes reçus chez un riche Tatar, qui, moins sévère que ses concitoyens, veut bien nous admettre dans son intérieur : c’est une grande faveur ; ces messieurs n’ont pas l”habitude d’être aimables avec les chrétiens.

Notre Tatar nous reçoit entouré de ses quatre femmes et d’une dizaine d’enfants, que notre présence gêne visiblement. Ces dames, malgré leur peu de sympathie pour nous, n’ont pas négligé de revêtir des toilettes resplendissantes, ce qui m’encourage à demander la permission de faire le portrait de l’une d’elles, afin d’emporter une reproduction de son joli costume.