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part de ceux-ci, comme aussi les palais royaux, yamen et autres endroits où réside une haute autorité, sont précédés d’un portique en bois dont la hauteur est de 30 à 40 pieds et la largeur de 20 au plus. Il se compose de deux poutres perpendiculaires et réunies à leur sommet par deux traverses parallèles en bois, sur lesquelles sont clouées à angle droit de nombreuses flèches rouges, la pointe dirigée vers le ciel. On donne le nom de Hong Sal-Moun, c’est-à-dire « porte aux flèches rouges », à cet étrange et svelte édifice que je crois d’origine tartare et non japonaise. Après avoir franchi l’élégant portique, nous trouvons au milieu d’un jardin la pagode bouddhiste. Elle est construite dans le goût chinois, mais d’un style assagi par une certaine lourdeur dans les lignes d’architecture générale et une plus grande sobriété dans les détails. Nous pénétrons dans le temple et nous y trouvons des Bouddhas en pierre, en bronze, en bois, etc. Ils se distinguent de ceux des autres pays par une tresse de cheveux ramenée au sommet de la tête, où elle se dresse comme une petite corne ; nous en expliquerons plus tard l’origine. Je me suis procuré plusieurs de ces Bouddhas et j’ai trouvé, dans l’intérieur de chacun d’eux, une petite boîte en cuivre qui contenait cinq pierres plus ou moins précieuses, figurant les viscères du Dieu. Il y avait aussi des parfums, diverses graines, de nombreuses prières bouddhiques en caractères chinois, coréens, tibétains, etc., imprimées sur des feuilles volantes ; parfois même des ouvrages entiers. J’en citerai particulièrement un de 40 centimètres sur 25, en papier noir avec caractères et dessins en or d’une rare finesse d’exécution. Enfin, j’y ai lu, écrit à la main, le nom de l’artiste, des donateurs et du temple auquel il avait été offert. Les inscriptions qui décorent les édifices bouddhiques sont presque toujours en caractères chinois, peints sur des panneaux de bois ou sur des kakémonos en papier, en soie, etc., toujours en couleurs et quelquefois dorés. On y admire parfois de grands panneaux décoratifs, de plusieurs mètres carrés, recouverts d’admirables peintures, représentant des scènes bouddhiques d’une étrange et brillante exécution, souvent très artistique comme dessin et coloris.

Bouddha coréen. — Gravure de Krakow, d’après une photographie.

Les plus beaux spécimens architecturaux de Séoul sont certainement les palais royaux. Je n’ai pu visiter celui qu’habite le roi, par suite du deuil où il était plongé au moment de mon séjour, mais j’en ai vu deux autres beaucoup plus anciens et peut-être plus intéressants, quoiqu’ils aient été détruits en partie pendant les dernières émeutes qui ensanglantèrent la capitale. C’est en compagnie de Mgr Blanc, des Pères et de M. Guérin, qui ne les avaient pas encore visités, que nous faisons cette intéressante promenade. M. Collin de Plancy, qui nous a obtenu la permission, se trouve, malheureusement pour nous, retenu ce jour-là par les affaires de la Légation. L’entrée des palais est précédée d’une porte monumentale. Elle rappelle comme architecture l’immense arc de triomphe en pierre, à trois ouvertures et à plein cintre, surmonté d’une double toiture, légèrement recourbée, du tombeau des Mings, aux environs de Pékin. Sur de hauts piédestaux deux lions de pierre la gardent extérieurement.

Nous pénétrons dans une immense cour d’honneur, à l’extrémité de laquelle se dresse le grand palais de réception. C’est un vaste édifice tout en bois, construit sur une double plate-forme en maçonnerie qui le surélève. On arrive, par un escalier de quelques marches en marbre blanc, au vaste péristyle qu’abrite une double toiture aux tuiles diversement émaillées. Elles sont soutenues par des poutres en saillie, terminées par des têtes de dragons coloriés ; l’ensemble est d’un aspect grandiose. Le centre du monument forme une vaste salle que soutiennent d’énormes colonnes, troncs d’arbres plusieurs fois séculaires, sur lesquels repose toute la charpente. Le fond de cette pièce est orné à l’intérieur de peintures murales dans le goût japonais, mais beaucoup plus violent de couleurs et d’une intéressante naïveté d’exécution. Elles représentent des paysages montagneux qu’éclaire le soleil, représenté par un cercle blanc entouré d’une double circonférence rouge, ou la lune, figurée de la même façon par les mêmes couleurs contrastantes. Au milieu de cette curieuse décoration, qui ne manque pas de grandeur, s’élève l’estrade du roi, que domine, suspendu dans l’air, un énorme phénix en bois doré, aux pieds duquel se développe un superbe paravent en bois à jours, merveilleusement sculpté. Du haut de ce trône le roi apercevait, toute la façade de l’édifice étant ouverte à cet effet, la cour d’honneur où se tenait la foule des mandarins, des nobles, etc., qui forment les huit castes de la société coréenne. Les représentants de chacune d’elles, en costume spécial, se plaçaient, selon leur rang, en face du trône, en s’alignant aux seize bornes de marbre blanc qui séparaient les diverses classes sociales. Tel était le cérémonial des audiences solennelles.