Page:Le Tour du monde - 63.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

large lacet de leur jupon surélevé. Elles vont, en cet état, chez les marchands, faisant des achats de toute sorte : riz, poissons, poulets, gâteaux, etc., pendant que leurs enfants jouent bruyamment dans les rues ou s’arrêtent en admiration devant des acrobates ou quelques guignols coréens.

En été, ces pauvres petits sont à peine vêtus ; j’en ai rencontré souvent qui avaient pour tout costume un petit brassard en coton leur arrivant juste à la hauteur des seins. Quant aux hommes, la plus grande variété règne dans leurs vêtements, différents pour les huit classes qui composent la société. Je vous ai décrit le costume d’un prince et celui des gens du peuple. La classe moyenne se distingue de ces derniers en ce que, par-dessus le veston et la culotte, les hommes portent généralement une espèce de redingote qui se croise sur la poitrine, retombe fort bas, et est fendue de chaque côté, à partir de la ceinture. Elle se ferme avec des rubans, que chacun noue avec le plus d’élégance possible, le Coréen ne connaissant ni les boutons ni les agrafes : ce vêtement est généralement blanc, ou de couleur très claire, presque toujours en coton, quelquefois en sole, jamais en laine. On le rembourre en hiver avec de la ouate. Les bourgeois, au lieu d’avoir les mollets nus et des chaussures de paille, portent une bande flottante en coton, reliant le bas de la culotte à des chaussettes rembourrées de ouate ; celles-ci grossissent formidablement les pieds, chaussés de souliers découverts en bois, cuir, feutre, papier, etc. Enfin le bandeau d’étoffe qui entoure la tête des malheureux est remplacé pour les gens aisés par un mince issu en crin que recouvre un chapeau aux bords larges, plats et ronds, surmonté d’un petit cône tronqué destiné uniquement à abriter la tresse de cheveux que les Coréens mariés portent droit sur leur vertex. Le chapeau, ainsi posé au-dessus de la tête, est maintenu par deux longs rubans qui se nouent au-dessous du menton. Ce genre de coiffure se fait en feutre, papier, paille, crin, palmier, etc. ; dans ce dernier cas, il est tissé à jour, de manière à laisser pénétrer librement l’air, le soleil ou la pluie par les mailles entr’ouvertes. Il se vend fort cher et est d’une rare perfection d’exécution et de forme. Je connais maintes Parisiennes qui n’hésiteront pas à en faire venir lorsqu’elles le connaîtront. La Corée semble être le pays des chapeaux : on en fait de toutes les manières, et nulle part je n’en ai vu de plus variés, depuis le diadème en carton doré du gouverneur de province jusqu’au plus modeste serre-tête du paysan. Pour mieux connaître la fabrication et les principaux modèles, je pénètre chez les chapeliers coréens, et je m’initie à tous les procédés de leur industrie. Je continue mes investigations, de la même manière, en entrant successivement chez l’apprêteur de faux cheveux pour dames, le marchand d’étoffes, le teinturier, les fabricants de rubans, de pipes, de flèches, de sabots, bref chez tous les petits artisans de la ville.

Soldats coréens. — Gravure de Bazin, d’après une photographie.

Nous voici arrivés dans une rue où l’on vend des meubles ; j’en trouve de différentes époques. Les plus anciens sont laqués ou peints de couleurs contrastantes du plus brillant effet ; quelques-uns sont enrichis de minces bandes d’ivoire ou d’os qui forment comme un cloisonné carré, où l’on coule une légère couche de corne fondue dont la transparence dorée illumine d’un éclat spécial les vives peintures qu’elle recouvre et protège. D’autres, moins antiques, sont laqués en noir et incrustés de superbes nacres, produit naturel du pays, donnant aux meubles de ce genre une richesse incomparable par la beauté du dessin et l’éclat de la lumière qu’elles emmagasinent. Enfin on en fait aujourd’hui en bois poli orné de cuivre, dont les formes rappellent étrangement nos meubles du moyen âge. J’ai apporté plusieurs échantillons des différents types que nous venons d’analyser : ce sont de véritables spécimens de la fabrication coréenne. Malheureusement on ne les trouve que chez les mandarins, les nobles, ou des personnages fort riches, car pas plus en Corée qu’au Japon les gens du peuple n’ont de meubles. Les sièges sont inconnus dans ces deux pays : on s’assied simplement par terre ; on couche de même : les pauvres sur le plancher, et ceux qui sont plus fortunés sur des nattes ou entre deux petits matelas très minces.

L’oreiller du malheureux consiste en un petit cube allongé en bois, long d’environ 39 centimètres et haut de 15 ; les riches ont un traversin d’étoffe bourré de plumes et terminé par deux disques, d’une vingtaine de centimètres, inccrustés, laqués, sculptés ou vernis et enchâssés généralement dans un anneau de cuivre. Quant au lit, il est presque inconnu, et n’est parfois en usage que dans les classes dirigeantes. Mais tout le monde se sert pour manger d’une petite table hexagonale de 60 centimètres de diamètre sur 20 centimètres de hauteur, et, quel que soit le nombre des personnes dînant ensemble, chacun en a au moins une. De grands coffres, de 60 centimètres de haut sur environ 1 mètre de large, servent de resserres ; on les fabrique géné-