Page:Le Tour du monde - 63.djvu/347

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creusés dans la terre et destinés à l’usage des campagnards, qui, attirés dans cet endroit par un marché mensuel, ne peuvent, vu leur grand nombre, loger tous chez leurs voisins et frères en la grande famille coréenne dont le roi est le père.

Comme nous marchons lentement, par suite de nos fatigues précédentes, j’expédie en avant de la caravane un de mes soldats et un palefrenier pour porter ma carte au gouverneur de Taïkou en le priant de nous laisser entrer dans la ville après la fermeture des portes si nous arrivions en retard.

Hélas ! une heure après, nous rattrapons notre soldat les habits déchirés ; son compagnon, étendu par terre, semble mort, et quelques Coréens rassemblés autour de lui cherchent à le ranimer. Voici ce qui s’était passé : le palefrenier, étant gris, a refusé d’obéir au soldat : de là combat, et notre homme, sachant la punition sévère que lui vaudra cette révolte contre l’armée, contrefait maintenant le moribond pour y échapper. Je lui prends le pouls, et comme il n’a rien d’anormal, j’ordonne immédiatement la reprise de la marche de la caravane, à l’approbation générale, constatant ainsi une fois de plus combien l’autorité légale est respectée en Corée. Que dis-je ? elle est partout honorée, comme l’attestent les nombreux monuments élevés par les habitants à l’entrée des villes et des villages en l’honneur des mandarins qui se sont signalés par leurs vertus administratives.

Quelques-uns sont de véritables petits monuments, avec toitures et puissants contreforts, formant comme unie petite chapelle ouverte ; d’autres sont de simples stèles en fonte de fer de 60 centimètres sur 20, portant des caractères en relief. Plusieurs d’entre elles sont très anciennes et prouvent le haut degré auquel à une certaine époque les arts métalliques étaient parvenus en Corée : témoin, du reste, Les ruines de tours en fer dont parle l’ambassadeur chinois dans le récit de son voyage en Corée, et qui précèdent de tant d’années la tour Eiffel.

Fabrication des chapeaux. — Gravure de Krakow, d’après des dessins coréens.

Nous sommes de plus en plus en retard, par suite de notre fâcheux incident ; aussi, après avoir franchi le Komou-kan, affluent du Nak-tong-kang, la nuit nous surprend, et, le gouverneur n’ayant pu être prévenu, nous trouvons Taïkou fermé. Il nous faut coucher aux portes mêmes de la ville, dans une misérable auberge suburbaine. Ma chambre est bien la plus horrible que j’aie jamais habitée ; un simple détail : les poutres du plafond disparaissent complètement sous un épais velum de toiles d’araignées. On me propose de le faire disparaître ; je m’y oppose absolument et préfère laisser les brunes tisseuses dans leur quiétude, plutôt que de m’exposer à leur vengeance. Personne n’insiste, car tous mes hommes sont brisés de fatigue. Quant aux chevaux, ils sont rendus à ce point qu’à peine arrivés, ils refusent pour la première fois toute nourriture et se couchent comme pour mourir. Je les trouve le lendemain matin dans le même état de prostration, ainsi que mes compagnons, tant a été pénible ce voyage, particulièrement au passage des montagnes, qui n’atteignent pourtant pas 3 000 mètres. J’autorise mon monde à rester couché toute la journée et expédie ma carte officielle au gouverneur. Il m’envoie aussitôt une garde d’honneur et une lettre dans laquelle, s’excusant de ce qu’on n’a pas ouvert les portes la nuit, il m’invite à une réception solennelle, dans la journée, m’annonce qu’on a préparé pour moi des appartements au yamen, et m’offre l’hospitalité. Je fais écrire immédiatement par mon interprète que je remercie Son Excellence de ses hautes prévenances, et aurai l’honneur de me rendre à sa gracieuse invitation pour lui offrir tous mes hommages. Je signe la missive, la fais porter et me hâte de sortir de ma valise mon costume de soirée ; hélas ! habit, gilet, pantalon, à la suite de divers bains, ont pris Les formes les plus inattendues ; il faut pourtant les mettre, le gouverneur ayant assisté comme ministre à des réceptions officielles d’Européens à Séoul. Je me hâte donc de m’habiller, puis promène autour de mon costume ma glace grande comme la main et vois avec effarement mon