Page:Le Tour du monde - 63.djvu/362

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s’efforcent de venir en aide au pays voisin, où bientôt la famine s’étendra dans toute son horreur. Nous atteignons enfin la route directe de Séoul à Fou-san, où se dressent devant moi, à mon grand ébahissement, les poteaux du télégraphe récemment établi en Corée, comme au Japon et en Chine. De temps à autre nous rencontrons quelques marchands japonais de Fou-san venus ici pour leurs affaires. Ces petits hommes, en général fort laids, avec leurs longues robes à large ceinture, leurs bottines du Pont-Neuf et leurs petits melons de la Belle-Jardinière, me font un étrange effet au milieu de cette population grande et forte et au costume si personnel. Il me semble qu’avant peu nous verrons que les Coréens ne le cèdent en rien à leurs voisins dans la voie du progrès. En effet, si les Japonais, dont ils ont été les éducateurs, les surpassent aujourd’hui au point de vue de l’industrie et des arts, les Coréens les rattraperont bientôt pour les dépasser, grâce à leur supériorité morale. Elle est attestée chez eux par leur admirable organisation de la famille, leur solidarité, leur énergie au travail, enfin les étonnants progrès qu’ils ont faits en quelques années, comme le prouve le télégraphe, dont les lignes civilisatrices s’étendront bientôt sur toute la Corée.

Nous sommes entourés maintenant de charmantes collines, d’où s’échappent cent cours d’eau qui se répandent dans la vallée, où ils forment un paysage des plus aquatiques ; aussi ne faisons nous que franchir à gué une multitude de petites rivières, où mon cheval manque un moment se noyer. Nous nous arrêtons pour déjeuner à Sang-san-natri, dans une auberge située à l’extrémité d’un village et tout proche d’un large ruisseau au bord duquel quelques paysannes lavent leur linge, ce qui n’est pas une petite affaire, vu les nombreux dessous des Coréennes et l’usage des costumes blancs portés par presque tous les hommes. Aussi tous ces vêtements, étendus à terre pour sécher au soleil, nous donnent-ils au premier aspect la sensation d’un champ couvert de neige se détachant au milieu d’un paysage verdoyant ; c’est charmant, vu de la fenêtre de la chambre où je prends mon repas.

Vieillard. — Dessin de Riou, d’après une photographie.

Nos chevaux sont à peine rassasiés que je hâte le départ, pour arriver le soir même à Fou-san, et je fais bien, car, après avoir franchi une suite de collines, nous arrivons un peu avant la nuit devant un col assez élevé, le Tchung-ka-moe, qui se dresse droit devant nous. L’ascension en est d’autant plus difficile qu’il n’existe pas de chemin au milieu des rochers informes qui obstruent notre marche. Je ne pouvais terminer par une passe plus pénible. Deux fois la caravane arrive à pic au bord d’un effroyable abîme, qui dans l’obscurité eût été notre perte. Nous dominons maintenant à demi la profonde vallée, au-dessus de laquelle d’énormes rochers suspendus semblent à tout moment prêts à se détacher pour écraser de leur sombre masse le petit village qui s’étend au fond de la vallée, où mugit à travers les rochers un torrent écumeux. Le soleil couchant illumine ce superbe décor d’opéra des tons les plus heurtés c’est splendide. Bientôt, noyés dans les derniers feux du jour, nous atteignons enfin le sommet désiré et jouissons brusquement, de l’autre côté de la montagne, d’une nuit parsemée d’étoiles. La descente s’opère lentement par une véritable route, où nous précède un habitant du pays que, vu l’obscurité, j’ai pris pour guide. Nous atteignons la plaine pour arriver enfin à un mamelon boisé contourné par une allée de cèdres magnifiques qui, par une pente rapide, conduit à l’entrée de Fou-san. Là, impossible de se faire comprendre, car le dialecte de la côte orientale devient complètement différent de la