Page:Le Tour du monde - 63.djvu/369

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aussi heureux en France et voir bientôt partir tout un essaim de jeunes voyageurs, entraînés déjà par l’état militaire où ils ont tous passé. La soirée achevée, comme nous marchons à travers champs pour regagner le steamer, voici que derrière nous retentit, dans le silence de la nuit, le sinistre miaulement du tigre, il redouble : est-ce que je vais enfin en voir un ? Nous nous arrêtons, et tout à coup bondit au milieu de nous l’ami X…, qui nous donne cette petite distraction de famille !!! Nous lui répondons par un miaulement général d’adieu ; après quoi, comme dans la chanson, chacun s’en va coucher, les uns à bord, et les autres… chez eux.

Pêcheurs à Fou-san (voy. p. 360). — Dessin de J. Lavée, d’après une photographie.

Deux heures après, nous quittions la Corée pour nous rendre en Sibérie, où j’espérais compléter mes études ethnographiques dans le nord, comme je l’avais fait à l’est en parcourant une partie de Yéso et tout le Japon, enfin à l’ouest en visitant la Chine du nord, du centre et du sud ; on ne peut en effet connaître l’ethnographie d’un peuple que si l’on a des idées générales sur les pays qui l’entourent. Je fus enchanté de ma détermination, car, grâce à l’aimable accueil de M. de Bussy, conseiller d’État à la cour de Russie, et à ses remarquables travaux sur les pays septentrionaux, qu’il étudie depuis plusieurs années, enfin à la très intéressante collection sibérienne réunie par lui, j’ai pu constater une étrange parenté entre les anciennes tribus sibériennes, particulièrement les Tongouses et les Coréens. Sans entrer dans des considérations spéciales qui seront développées dans notre volume, nous nous contenterons de dire ici que cette affinité se manifeste aujourd’hui de la façon la plus inattendue ; en effet, tandis qu’on ne rencontre presque aucun Coréen en Chine et au Japon, c’est par milliers qu’on les compte sur les bords de l’Amour et à Vladivostok, où ils ont accaparé toute la batellerie. Un immense commerce y est fait également par les Chinois, mais on n’y compte en dehors des Russes que quelques rares Européens.

La ville, située au fond d’une immense baie, est protégée par de pittoresques collines couvertes de sapins, de mélèzes, de pins et de bouleaux au tronc d’argent. Les flottes du monde entier pourraient s’abriter dans ce port immense et qui, fermé par les glaces pendant deux mois de l’année, n’en est pas moins appelé au plus grand avenir, car Vladivostok, dont l’origine est récente, est déjà la reine du nord, et sa prospérité ne fera que s’accroître. Bientôt en effet un réseau de chemins de fer reliant entre eux les lacs et les fleuves sibériens sillonnés de bateaux à vapeur, la mettra en relations d’affaires non seulement avec tout l’empire russe, mais avec l’Europe entière et toute l’Amérique du