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En dépit de l’abandon, des ravages exercés par le temps et par le feu, l’antique manoir élève encore sur trois vallées sa masse imposante et son superbe donjon.

Le souvenir des anciens seigneurs de Castelnau est maudit dans la contrée : aux soirées d’hiver, les paysans racontent sur eux de sombres légendes et leur nom seul frappe de terreur les enfants.

Le Montal, magnifique château du xvie siècle, qu’une spéculation a mutilé, vit la mort tragique d’une amante délaissée. Sur le rebord de la fenêtre d’où l’infortunée Rose de Montal se précipita pour mourir, on peut lire encore les mots : « Plus d’espoir », les derniers qu’elle prononça, et qui furent gravés là en mémoire de sa triste fin.

Une merveille du Quercy, dont on peut contempler les ruines, est le château d’Assier, bâti par Galhot de Ginouillac, grand maître d’artillerie de François Ier, la plus somptueuse demeure de France, au dire de Brantôme. Hélas ! cette merveille d’art se détruit de jour en jour ; aucun descendant de ce héros de Marignan et de Pavie n’est là pour préserver les derniers débris de sa beauté.

Et pourtant que de richesses encore dans ces ruines ! Des frises y courent en arabesques capricieuses, en trophées d’armes, en attributs d’amour. Certains pilastres en grès sont sculptés avec une finesse incomparable. Hercule est représenté sur l’un d’eux, étouffant le lion de Némée et terrassant le géant Antée.

Une devise est répétée sans cesse tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice, sur des cartouches suspendus à des trophées ou à des guirlandes, ou portés par Cupidon : J’aime fort une, souvenir de la passion violente dont Galliot fut possédé pour la duchesse d’Angoulême, mère de François Ier, passion qu’il emporta dans la tombe.

La source de Briance (voy. p. 402).

Maintenant, ô cruelle ironie ! le lierre symbolique couvre à demi et ronge chaque jour les devises d’amour et de constance, et la nature, qui a repris ses droits, élève à travers les ruines des bosquets de feuillage qui abritent, chaque printemps, des nids d’oiseaux.

Là, tout auprès, dans l’église qu’il fit bâtir, repose sur un sarcophage l’image du héros, les mains croisées sur la poitrine, les pieds appuyés sur un lion. On lit sur la pierre :

Ci dort qui n’eut jamais propos
De reposer en la vie mortelle ;
Ses longs travaux lui ont donné repos,
Car pour ses faits sa vie est immortelle.

Au milieu de cet aride causse de Gramat, auprès de ces châteaux forts, pleins de souvenirs du passé, le plus vénéré des anciens pèlerinages, Rocamadour, élève sa basilique.

À des époques déjà lointaines, par deux fois j’avais visité cet étrange lieu, et le souvenir m’en poursuivait toujours. Un gracieux ami de Gluges me l’avait révélé. Une journée entière nous avions erré dans les sanctuaires, et, vers le soir, chacun sur notre âne, nous avions pris des chemins raboteux, et, comme les pèlerins du moyen âge, nous étions allés frapper à la porte d’un castel qui s’ouvrit pour nous donner une généreuse hospitalité.

Que de beaux jours évanouis et de combien de deuils se voilent les sentiers que l’on foule une seconde fois ! J’ai suivi les chemins de jadis, sur le causse, à travers des ondulations qu’égayent les murailles blanches de quelques villages ombragés de noyers. Au loin s’enfuient des plateaux et encore des plateaux. Çà et là paissent des moutons ; leur laine a emprunté au sol sa couleur sanglante, et ils demeurent si longtemps immobiles, les dents sur l’herbe, qu’ils paraissent endormis.