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la cascade que j’avais contemplée autrefois, j’ai souri au manoir dont je fus l’hôte d’un jour, j’ai élevé mes yeux jusqu’au château de Mirandol, nid d’aigle juché sur une falaise vertigineuse, à pic sur la Dordogne.

Mirandol.

Cette Dordogne si calme et si pure, je l’ai revue, étalée comme un miroir sans fin, reflétant les arbres de ses rives, les castels, les roches claires ; j’ai revu Gluges, hameau ignoré, nid humain blotti dans un pli de falaise devant un merveilleux décor. Là dans une auberge je passai jadis quelques saisons. Que de récits me revenaient, entendus le soir aux veillées d’automne, devant la braise, et combien ces souvenirs sont lointains déjà !

Les années s’enfuient et l’on voudrait se reposer encore dans ces coins ignorés où se sont écoulées des heures si calmes, mais la vie commande maintenant de sa voix dure : on n’a plus le temps de s’arrêter.

Et l’on passe à regret, regardant encore par-dessus son épaule jusqu’au détour du chemin, songeur et aussi un peu attristé.

Le Quercy s’honore d’une fière noblesse. Sur le causse, sur les rives de la Dordogne, se dressent des manoirs qu’illustrent les grands noms des Saint-Cyr, des Lamberterie, des Conquans, des Montmaur, des Valon, des Dufour, des Blaviel, des Maynard, etc. D’autres noms d’origine plus récente, mais faits de gloire, ont eu du retentissement : ce sont ceux de Murat, roi de Naples, de Bessières, duc d’Istrie, de Gambetta, de Canrobert.

Dans les manoirs, les antiques traditions sont respectées. Du reste, certaines conditions de l’existence s’y sont peu modifiées depuis des siècles.

Dans les vastes cuisines, auprès du grand âtre aux vieux landiers luisants, brûlent encore, en hiver, des troncs d’arbre entiers.

Deux bancs anciens en garnissent les côtés : l’un est réservé aux châtelains, l’autre est pour les pauvres.

Le pauvre arrive, salue et va s’asseoir.

Les serviteurs, sans mot dire, lui apportent un plat de soupe fumante.

Lorsque le pauvre s’est chauffé et restauré, il se lève, remercie et s’en va.

Quelle grandeur, n’est-ce pas, dans cette hospitalité traditionnelle donnée aux humbles !

Ces plateaux arides, brûlés par le soleil et les vents, subirent longtemps les fureurs de la guerre.

Les Sarrasins et les Normands les ont ravagés, et les soldats de Pépin en massacrèrent les habitants réfugiés dans les cavernes.

Plus tard, à la voix de Pierre l’Ermite, les châtelains s’armèrent et partirent aux croisades. Les guerres religieuses ensanglantèrent cette terre, qui devint le théâtre de combats glorieux pendant la guerre de Cent Ans.

Que de souvenirs éveillent les donjons qui s’écroulent partout, fiers encore sous leurs ruines !

Castelnau, forteresse rouge dont l’origine remonterait à la reine Brunehaut et qui date sûrement des premiers fiefs, vit passer dans ses murailles toute une lignée de hauts et fiers seigneurs. Vassaux des comtes de Toulouse et des vicomtes de Turenne, ils se tenaient aussi souvent debout qu’à genoux devant leurs suzerains.

Au xiie siècle, le vieux repaire, réduit par la famine, fut obligé d’ouvrir ses portes à Henri II, roi d’Angleterre. Pendant la guerre des Albigeois, son existence fut gravement menacée. Là expira, après une douloureuse captivité, la veuve du comte d’Armagnac, victime de la politique de Louis XI.

En 1705, le dernier des Guillem de Castelnau mourut à Versailles après avoir abandonné sa noble demeure, dont les salles avaient été revêtues de lambris d’or et dont les balcons aux balustres blancs ornaient d’une fraîche dentelle les lourds remparts.

La révolution respecta le colosse.

La maison de Luynes, à laquelle il était revenu par la suite, le vendit.

On vit alors un acquéreur errer comme épouvanté dans les ruines de cette forteresse solitaire, et dans son affolement songer à la détruire.

Plus tard un incendie l’éclaira de sinistres lueurs et ne fit que l’entamer.