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Puis Rocamadour, dans son étrange décor, a subitement frappé mes yeux, et sa vue m’a aussi fortement impressionné que lorsqu’il m’apparut pour la première fois.

Quelle vision saisissante !

Sur le plateau une profonde déchirure s’enfonce tout à coup dans les entrailles de la pierre. Des falaises à pic, des talus rapides, des roches monumentales supportent le causse et accompagnent l’immense gorge dans ses sinuosités.

Des brouillards en voilent le fond aujourd’hui, et il m’a semblé qu’un abîme venait de s’ouvrir sous mes pas.

Sur un flanc de la falaise, contre un rocher à pic, Rocamadour accroche ses sanctuaires, que le soleil illumine, et plus bas ses habitations.

Tout étincelle, la pierre qui se penche, les clochers, les antiques forteresses, les pauvres maisons accroupies contre les parois. On croirait que ces basiliques, ce village et cette roche ardente voguent au-dessus d’un abîme. Car tout cela est à mes pieds et cette vision tient du rêve autant que de la réalité. Et puis j’ai comme la sensation de choses qui ne seraient pas en place, il semble que le village et les chapelles manquant d’une base solide vont glisser dans un gouffre. Dans cette déchirure béante sur laquelle je plane, à travers l’éblouissante lumière, dans ce chaos de brouillards qui font la profondeur vertigineuse, avec des criailleries incessantes, rôdent des nuées de corneilles.

Vieux paladins, lorsque, au retour des croisades, l’accomplissement d’un vœu guidait vos pas vers Rocamadour, quels devaient être votre ravissement et votre extase en présence de cette apparition subite !

Et vous, pèlerins qui accouriez en foule des parties les plus lointaines de la France naissante, combien ce décor merveilleux devait donner d’élan à votre foi ! Sa vue vous faisait oublier les fatigues et les périls qui avaient accompagné votre route…

Devant ce sanctuaire apparu, dans les vapeurs matinales ; comme une lumineuse vision, j’évoquais les époques lointaines où, déjà célèbre, il voyait accourir des visiteurs des contrées les plus éloignées. Les Languedociens et les Auvergnats le vénéraient, et des caravanes s’organisaient en Bretagne, en Espagne même, pour venir le visiter.

La Vierge noire de Rocamadour (voy. p. 411).

Sur les montagnes que les pèlerins devaient traverser, dans les lieux déserts, des hospices s’élevaient pour les recevoir, des feux allumés sur des édicules guidaient leur marche nocturne. Car les routes n’étaient pas sûres, et c’est seulement au prix de dures fatigues et de dangers qu’ils pouvaient atteindre le but de leur voyage.

Dans les monts solitaires d’Aubrac, beaucoup succombaient d’épuisement ou étaient égorgés par des bandits.

Alard, vicomte de Flandre, y fut assailli par des voleurs tandis qu’il se rendait à Saint-Jacques de Compostelle. Mais au retour de son pèlerinage il fit construire au sommet de la montagne un hôpital fortifié où il s’établit lui-même pour assurer la sécurité des nombreux pèlerins qui traversaient la région pour aller visiter le Puy, Saint-Dominique d’Estramadure, Saint-Jacques de Compostelle ou la Palestine.

Les chemins suivis par les pèlerins étaient appelés camis Roumiou, et aujourd’hui encore, en certains pays, cette dénomination leur est restée.

En Quercy ce chemin s’engageait aux environs de Figeac, dans une étroite et dangereuse vallée. Deux pyramides en pierre qui subsistent et où des feux étaient allumés pendant la nuit guidaient leurs pas. On dit même qu’une sorte de phare s’élevait sur le mont du Candal (de la chandelle).

Entre Figeac et Gramat l’église fortifiée de Rudelle leur offrait une protection assurée.

Au reste les dangers que couraient les pèlerins étaient tels que, dans son traité de paix avec les Flamands, en 1304, Philippe le Bel, roi de France, se réserva le droit de punir par voyages ou pèlerinages les personnes les plus coupables de la ville et du terroir de Bruges.

En 1316, Philippe le Long, régent du royaume de France, modifiant les clauses du traité, stipule que Robert de Castel, le plus jeune des fils du comte de Flandre, fera un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice, un à Notre-Dame de Rocamadour, un à Notre-Dame de Vaubert, un à Saint-Gilles en Provence. Si une année ne suffisait pas pour effectuer ces pèlerinages, il en mettrait deux.

Lorsqu’un pèlerin était prêt à se mettre en route, un prêtre lui présentait, avec l’escarcelle et le bourdon, peram et baculum peregrinationis, des langes marqués de la croix, ses vêtements étaient aspergés d’eau sainte et le clergé l’accompagnait en procession jusqu’à la prochaine paroisse. Nos rois eux-mêmes ne partaient pas pour la croisade ou n’entreprenaient pas un pèlerinage sans se rendre à Saint-Denis pour recevoir de la main d’un prélat l’escarcelle ou l’écharpe et le bourdon.

Aux xe et xie siècles beaucoup d’entre eux se dirigeaient vers la Palestine. On les voyait arriver par la