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pâlissant où des mondes lointains, meilleurs peut-être, doucement s’allumaient.

La créature, pleine de misère, fuyait l’ombre terrestre et montait, montait encore, en son espoir, vers les régions sereines de l’infini.

Et ces voix graves ou plaintives, ce vent nocturne aux haleines froides et pleines de frissons, ces silhouettes hautes de monuments d’un autre âge, ces étoiles tremblantes, cet astre formidable qui planait solitaire, m’emplirent d’un vague effroi.

Puis les derniers chants sacrés s’éteignirent au tournant de l’escalier et l’ombre enveloppa Rocamadour silencieux.

Longtemps je demeurai-là, pensif.

Dans les ténèbres qui s’épaississaient, les formes des choses s’étaient évanouies. La lune avait disparu. Quelques lueurs de foyer toutes rouges, perdues au fond d’un abîme noir, me rappelèrent seulement qu’il y avait un village au-dessous de moi.

Je gagnai l’hôtellerie. Ah ! le bon chien au poil : fauve assis devant le feu qui flambe joyeusement !

« Ici, Lion ! »

Et le chien s’est approché. C’est l’ami des voyageurs. Il vous adopte dès l’arrivée, vous promène à travers le village et semble un guide qui sait vous conduire.

Toute la journée il m’avait escorté ainsi ; mais, vers le soir, il s’était esquivé. Sans doute il avait à surveiller la broche, à présider à la cuisson du lièvre qui tournait tout saignant devant le foyer, car il se tenait là d’un air important et entendu. Lion n’aime pas les pauvres, qu’il chasse par ses grognements, et si cette démonstration ne suffit pas, une double rangée de crocs acérés grince d’une façon menaçante. Ses caresses sont réservées à ses maîtres et aux amis de la maison.

Le lendemain à la première heure, le chien était à la porte de ma chambre, il avait hâte de m’accompagner ; je marchais bientôt derrière le fauve panache qu’il agitait dans le chemin. Par moments il s’asseyait pour m’attendre lorsque dans les rudes montées je ralentissais la marche.

C’est ainsi escorté que je parcourus les ruines de l’hôpital Saint-Jean, au sommet d’un coteau, en face de Rocamadour. C’était autrefois la dernière halte des pèlerins. Là ils réparaient leurs forces épuisées, et des mains pieuses lavaient leurs pieds meurtris ou ensanglantés par la route rocailleuse.

J’ai gravi le haut escalier dont les fidèles avaient fait l’ascension la veille, mais le soleil dardait et la sombre poésie des choses du soir s’était envolée. Je suis arrivé sur un plateau, dans l’enceinte sacrée, devant la chapelle Saint-Michel.

Le parvis dans l’enceinte sacrée.

On remarque devant la porte un coffre monumental, bardé de fer, où les pèlerins déposent leurs offrandes.

Au-dessus s’enfonce dans la muraille l’épée dite de Roland, informe copie de la fameuse Durandal.

Roland, qui allait rejoindre son oncle Charlemagne