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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/574

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le souci que l’Anglais. Nous n’entendons point faire de cette remarque un éloge à notre endroit, une critique à son égard : nos qualités ont leurs revers, et ses défauts sont rachetés par d’étonnantes beautés. La littérature comparée serait un jeu bien puéril si elle consistait à faire comparaître les œuvres étrangères devant un étalon national pour y mesurer leur valeur et les classer à l’avenant. C’est fermer son intelligence et sa sympathie au génie anglais que de vouloir le soumettre aux rigueurs et à l’unité de notre goût. Si nous insistons sur la nécessité de surmonter nos préférences et de dépouiller nos habitudes, c’est que jamais l’effort n’aura été plus nécessaire ni plus difficile.

Les romans de M. George Meredith sont un défi au genre lui-même. L’action ne se ramasse pas en une intrigue, et les personnages ne sont point évoqués en un portrait. A travers une longue suite de scènes et une multitude infinie de détails, il nous appartient de saisir le sujet et de construire les caractères : à notre esprit de rassembler les faits, les gestes, les paroles et d’en, tirer un sens. L’auteur nous y aide par ses réflexions, ses observations, ses dissertations ; mais il ne se met point à notre place et n’assume point notre tâche. Il dispose le plus minutieusement qu’il peut devant nous, trop minutieusement peut-être, les élémens de la réalité et laisse à notre propre vigueur et à notre propre pénétration le soin de la reconstituer et de la comprendre. Son art n’a nul souci d’être moins complexe ou moins difficile que la vie : il lui suffit d’être plus appuyé et plus insistant. Il a pour but, non de suppléer à l’activité de notre pensée, mais de la provoquer et de l’exciter. Il l’exige et il l’éveille. Les romans de M. Meredith sont par-dessus tout des romans intellectuels. Pour un lecteur paresseux ou distrait, ils ne peuvent qu’être tour à tour fastidieux et inintelligibles, à part quelques traits ou quelques scènes qui s’imposent malgré tout, comme les aspects les plus sublimes ou les plus délicieux d’un paysage arrêtent le regard fatigué du voyageur. Si nous voulons suivre l’auteur et nous intéresser aux comédies et tragédies où il nous convie, il faut donner une égale et intense attention aux mouvemens des personnages, à leurs propos, et à ses allusions, à ses commentaires. Il faut le regarder en les écoutant, l’écouter tandis que nous les regardons, car souvent son sourire seul nous donnera la clef de leurs paroles, comme plus d’une fois aussi nous ne pourrons, sans ce qu’il nous dit, pénétrer le secret de leur attitude ou de