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défendu la Bulle. Mme de Tencin, qui goûtait peu la province, n’alla point à Embrun consoler l’archevêque de sa résidence forcée. Restée à Paris, elle rallia le parti autour d’elle. La Cour voulait le silence, sinon la paix. Fleury avait fait savoir qu’à la prochaine assemblée du clergé, les discussions sur le temporel seraient seules tolérées. Tout ce qu’il y avait de constitutionnaire dans l’épiscopat et chez les Jésuites s’enflamma. A toutes ces saintes colères, Mme de Tencin offrit son salon pour les y réchauffer, ce même salon où La Frenaye et tant d’autres avaient passé. L’illégalité de ces réunions en augmentait ta ferveur : cardinaux, archevêques et jésuites s’y rencontraient secrètement, la nuit, en travesti, tout enfiévrés par ce pieux complot. On y vit, dit Saint-Simon, jusqu’à « ce pauvre idiot, mais saint évêque de Marseille qui s’y était laissé mener, masqué en cavalier. » Mme de Tencin était « la papesse Jeanne » de ce petit conclave, où l’on frondait Fleury et le Parlement, avec toutes les affectations d’un grand zèle ultramontain. Si Mme de Tencin, toujours habile à se ménager le pouvoir, s’exposait pourtant à sa colère par ces dangereuses manifestations, ce n’était point sans doute mépris du siècle ou pure dévotion au Saint-Siège : — parmi ces soucis spirituels, elle n’oubliait point les choses de la terre et défendait avec férocité ses rentes contre les retranchemens ; — mais il n’était point mauvais que le frère, aspirant au chapeau, fût compromis en la personne de sa sœur, et passât à la Cour pontificale pour un martyr de l’idée romaine.

A l’autre Cour, celle de Versailles, cette agitation dévote finissait par exaspérer. La police se lassait d’espionner tous les jours les visiteurs de Mme de Tencin. Le 1er juin 1730, presque à la veille de l’ouverture officielle de l’assemblée du clergé, on lui fit savoir que, « Sa Majesté n’ayant pas lieu d’être contente de quelques liaisons qu’elle entretenait, elle ferait sagement de se retirer d’elle-même et sans éclat de Paris, et de s’en éloigner incessamment au moins de quinze ou vingt lieues, et plus, si elle le jugeait à propos. » Mme de Tencin ne le jugea point. Elle prit le minimum d’exil, et ne dépassa pas Ablon, où elle resta quatre mois. La vie parisienne manquait douloureusement à cette âme agitée. Elle en tomba malade. Mais « ce qui s’appelait évêques catholiques firent tant d’instances, » que la Cour céda. Mme de Tencin revint se guérir à Paris. Elle y fut plus sage. Pendant les dix ans qui suivent, son activité moins indiscrète est aussi