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moins tapageuse. Le meilleur de sa vie, elle le réserve à son salon qui devient un centre exquis de littérature et de conversations fines ; elle écrit des romans, les Mémoires du comte de Comminges (1735), le Siège de Calais (1739), où son imagination aventureuse se console de la médiocrité quotidienne, et où sa sentimentalité, amortie par les nécessités politiques, retrouve une jeunesse et presque une fraîcheur.

Cependant, dès 1736, la réconciliation de son frère avec Fleury, — réconciliation qui est son œuvre, — en ravivant ses espérances et ses désirs, la rend à l’intrigue et aux conjurations d’antichambre. L’archevêque d’Embrun fait à la Cour une rentrée quasi triomphale. De 1739 à 1742, c’est pour lui une ascension continuelle : cardinal, archevêque de Lyon, grassement rente par des abbayes, il achève l’édifice de sa gloire au conclave de 1740, où il fait élire pape son ami et l’ami de sa sœur, le cardinal Lambertini. A peine rentré en France, Fleury l’introduit au Conseil comme ministre d’Etat, et semble le désigner à tous pour son successeur. A la Cour, un parti puissant se concentre autour de lui : le duc de Richelieu, les Belle-Isle, les Noailles, les molinistes zélés, « quantité de femmelettes se piquant de dévotion et d’ultramontanisme, » le Roi lui-même, « non par religion, mais par peur des jansénistes et des parlementaires, » tous avec plus ou moins de résignation l’acceptent déjà comme le premier ministre de demain. A Paris, où Mme de Tencin remue ciel et terre pour lui, on fredonne :


Tencin, ce fourbe si parfait,
Comme chacun sait,
Visa toujours au grand objet.
Sa sœur infernale,
Avec sa morale,
L’y conduira par un forfait,
Comme tout le monde sait.


Mais au conseil du Roi, comme jadis à Rome et Embrun, il fallait un souffleur permanent à cet acteur sans esprit. Mme de Tencin lui trouva dans son salon un nouveau La Motte. Ce fut le jeune abbé de Mably, leur cousin. Il avait fait un Parallèle des Romains et des Français et jugeait les affaires d’Etat avec « profondeur. » Il accepta d’initier Tencin à la haute politique. Les notes d’introduction générale qu’il écrivit alors pour son