Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pareille étude pourrait être féconde. Depuis cinquante ans, ils ont multiplié les travaux sur les confréries ou, comme on dit encore aujourd’hui, sur les « les charités » de la Normandie[1].

Les charités normandes étaient des associations de prières et de bonnes œuvres qui se formaient sous le patronage d’un saint. Elles apparaissent au XIVe siècle, s’étendent au XVe ; au XVIe siècle, pas d’église de village qui n’ait sa charité.

Tout ce que le moyen âge a touché garde un peu de poésie. Ces confréries de rustres n’étaient pas vulgaires. On s’y couronnait de fleurs. A Surville, à la Saint-Martin d’été, l’échevin et les frères devaient, ainsi que leurs femmes, se rendre à l’église avec des chapeaux de fleurs. Ailleurs, l’échevin se couronnait des violettes de mars. Dans une charité de Saint-Jean-Baptiste, les frères portaient une couronne faite de trois fleurs : ces trois fleurs symboliques signifiaient les trois fonctions du précurseur, que Dieu envoya comme patriarche, comme prophète, et comme baptiste. Les symboles étaient partout. Il y avait treize dignitaires en souvenir de Jésus et des douze apôtres. Comme le Christ, l’échevin lavait les pieds à douze pauvres le jour du jeudi saint. On célébrait la fête du patron de la charité avec une pompe naïve. La veille on allait chercher l’échevin à la lueur des torches et on le conduisait à l’église. Le lendemain, la procession se déroulait, bannière en tête, et chaque confrère portait à son cierge ou à son chaperon l’image du saint protecteur. Partout au moyen âge le peuple fut l’artiste qui tire de lui-même toute beauté. Les enterremens avaient une noble gravité. On annonçait dans les carrefours, au son de la cloche, la mort du frère. Puis, s’il était pauvre, on lui achetait un linceul, on récitait près de son lit les prières des morts, et toute la charité, avec ses insignes, le portait à l’église et au cimetière. Une cérémonie avait une grandeur tragique. Quand un frère devenait lépreux, la charité faisait dire pour lui la messe des morts, et puis on l’isolait du reste du monde.

Les confréries militaires, comme les confréries pieuses, se multiplièrent surtout à la fin du moyen âge. Il n’y a pas de province en France où on ne rencontre des confréries d’archers,

  1. Il faut citer d’abord l’important mémoire de M.-E. Veuclin dans le Recueil des travaux de la Société d’agriculture de l’Eure, 1891. On y trouvera toute la bibliographie du sujet. Signalons encore l’article de M. H. de Formeville dans le Bull. de la Soc. des antiq. de Normandie, tome IV, p. 518, et celui de M. Ch. Vasseur dans les Mém. de la Soc. des antiq. de Normandie, 3e série, tome V, p. 549.