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L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE
DE
M. MAURICE BARRÈS

Qu’il plaise ou non à M. Barrès de célébrer sa Lorraine natale, il ne lui appartient pas de se cantonner dans ce qu’on appelle la « littérature régionaliste. » Ce qui nous plaît, à nous, dans ses livres, c’est lui-même, et non sa province. D’ailleurs, si réelle et si vivante qu’il nous la montre, sa Lorraine est avant tout pour lui un symbole. « Si j’étais un jour poète, disait-il récemment aux provençaux de Paris, ce serait pour exprimer un désir insatiable du ciel immense. Mais si j’étais un plus grand poète, je chanterais un héros qui se meut volontairement dans un horizon plus étroit que sa rêverie. Connaissons, acceptons, aimons nos fatalités qui nous bornent. Ce que j’appelle Lorraine, ce que je décris sous le nom de Lorraine, n’est peut-être qu’un sentiment très vif de mes limites. J’ai reconnu le vieil arbre lorrain comme le poteau où ma chaîne me rive. » Les anciens donnaient un autre nom, et plus énergique, à la Lorraine ainsi comprise. M. Barrès, qui n’a pas le temps de relire Erasme, n’aura pas remarqué ce curieux parallélisme, mais enfin le discours qu’on vient de citer semble n’être que la paraphrase éloquente du vieil adage : Spartam nactus es, hanc adorna. C’est la devise des classiques, opposée aux chimères du romantisme. Le classique se résigne à n’être qu’un Spartiate, sauf à embellir de son mieux son maigre pays. L’autre se révolte contre ses limites naturelles, dieu méconnu crue tourmente « un désir insatiable du ciel immense » et qui,