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s’il tombe avant d’avoir assouvi ce désir, se fera du moins reconnaître à la magnificence de ses cris.

Spartam nactus es, ces mots résument tout le développement littéraire et moral de l’auteur de Au service de l’Allemagne. En effet, il n’a pas atteint, dès ses débuts, à la résignation courageuse dont témoignent ses derniers livres, et, bien au contraire, il a longtemps voulu secouer le joug de cette Sparte où le sort l’avait placé. Classique invinciblement, mais classique malgré lui, nous l’avons vu s’engager dans toutes les avenues du romantisme. Comme un fils pieux, il a mis ses pas dans les pas des grands ancêtres, il a prié sur leur tombe, il a levé des bras supplians vers le char de feu qui roulait dans les nuages. Vains efforts ! Saturé d’effluves romantiques, aussitôt qu’il veut écrire à l’unisson de ses modèles, une muse lucide et moqueuse ordonne malgré lui le rythme de ses discours, courbe son ambition jusqu’à la sagesse des classiques, l’empêche en un mot de « faire le dieu. » Singulier voyageur qu’une force invincible ramène constamment à la frontière qu’il voulait fuir ; prisonnier plus étrange encore qui finit par préférer aux plus splendides paysages le préau de sa prison.

Je voudrais suivre dans le détail l’histoire de cet intime conflit. Sans doute, il est toujours vain de réduire les inspirations capricieuses d’un poète à une trop rigide unité. Néanmoins, le point de vue où j’essaierai de me tenir me semble un de ceux qui permettent le mieux d’envisager l’originalité de M. Barrès et de « situer » son œuvre dans l’histoire de notre littérature. Combattu entre son instinct et ses lectures, entre son goût presque infaillible et le tumulte de ses désirs, héritier légitime des moralistes français du XVIIe et du XVIIIe siècle, et en même temps fils adoptif de Rousseau et de Michelet, il réconcilie dans sa méthode des disciplines ennemies. Si, d’une part, ayant constaté en lui-même la faillite des ambitions romantiques, il proclame la nécessité littéraire et morale de « l’acceptation, » de l’autre il entend bien défendre et continuer les conquêtes des génies romantiques dans ce qu’elles ont de compatible avec l’intégrité de la raison française. Avec lui et par lui, le romantisme fait amende honorable à la tradition et rentre dans le rang, mais en vaincu glorieux qui poursuivit « une belle aventure. » « Avec tous mes pères romantiques, écrivait M. Barrès dans le plus récent de ses livres, je ne demande qu’à descendre des forêts