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ANALYSES.a. fouillée. L’avenir de la métaphysique.

c’est elle, à vrai dire, qui, bien plutôt que la psychologie, nous donnera la clef de la métaphysique de l’avenir. Mais en supposant que cette clef existe et qu’elle ouvrira enfin la porte jusqu’ici fermée, M. Fouillée préjuge les résultats de la critique. Telle qu’elle a été faite par Kant, elle emprisonnait, on le sait, la pensée humaine dans une impasse. Au dedans comme au dehors, la pensée ne saisit que des phénomènes et les formes dont elle-même les enveloppe : nulle ouverture, nulle issue vers le fond des choses. Qu’est-ce qui prouve que la nouvelle critique ne conduira pas à des conclusions analogues ? Peut-être sommes-nous condamnés à osciller toujours entre ces deux pôles de notre expérience et de notre science, objet et sujet, matière et esprit. C’est là, il est vrai, une hypothèse décourageante et fâcheuse : mais tant qu’elle n’aura pas été discutée et réduite à néant, elle barrera la voie à la métaphysique de l’avenir.

Il y a d’ailleurs quelque incertitude, ou du moins quelque apparence d’incertitude dans l’idée que M. Fouillée nous propose d’un « fond de la réalité ». Il est bien difficile d’écarter cette métaphore consacrée, et Dieu sait cependant les associations d’idées contradictoires qu’elle impose presque inévitablement à l’esprit ! Ainsi M. Fouillée a beau déclarer qu’il n’entend nullement par là un je ne sais quoi de mystérieux et d’insondable qui serait extérieur aux phénomènes et à la conscience : il n’est pas bien sûr que cette notion illusoire ne revienne pas, malgré lui, se glisser dans ses raisonnements. Nous croyons en effet démêler sous cette unique expression trois conceptions différentes. 1o La réalité, c’est l’expérience totale, l’ensemble des phénomènes avec tous les caractères et tous les rapports qui leur appartiennent, y compris leur rapport avec la conscience et ce caractère qui leur est commun à tous de nous apparaître en quelque façon : c’est le sens que nous avons déjà vu plus haut. 1o La réalité, c’est l’élément le plus fondamental, le plus général de notre expérience ; et ce sens est déjà moins précis et moins clair que le précédent. M. Fouillée semble en effet présenter cet élément comme un phénomène d’une espèce déterminée que l’analyse retrouverait au fond de toutes les autres espèces de phénomènes : il se demande, par exemple, s’il est mouvement, sensation ou appétition. Mais l’analyse appliquée à l’infinie diversité de notre expérience ne pourra découvrir comme élément commun à tant de phénomènes spécifiquement irréductibles entre eux qu’un élément formel (et non fondamental), un caractère commun, un rapport : et ce rapport, c’est celui-là même que nous indiquions tout à l’heure, le rapport de tous les phénomènes à la conscience, et qui les constitue phénomènes. 3o Enfin, la réalité, c’est l’objet du symbolisme universel. Dans les deux premières acceptions, il y avait entre la réalité et le phénomène la relation du tout et de la partie, soit que le phénomène fût une partie dont la réalité était le tout, soit au contraire que le phénomène fût le tout dont la réalité était une partie : il s’agit maintenant d’une relation toute différente qui est celle de deux termes hétérogènes, la relation du signe et de la chose signi-