Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
j.-j. gourd. — morale et métaphysique

un seul moment, se trouve en quelque sorte au-dessous de l’unité numérique et ne saurait subir l’application de la quantité. C’est encore notre avis. Le plaisir varie d’intensité dans chaque fait, et cette intensité se sent, mais ne se mesure pas. Si donc on voulait procéder en considérant le plaisir de chaque fait, il faudrait renoncer aux évaluations précises qu’exige la science. Mais nous nous y prendrons autrement. À la méthode directe, nous substituerons une méthode indirecte. De la mesure du fait, nous passerons à celle du nombre des faits. Au lieu de considérer ce que chaque fait apporte de plaisir, nous considérerons le nombre des faits qui en apportent. Et cela revient au même. En effet, plus le nombre des faits est grand à un moment donné, plus aussi il y a d’éléments différentiels ; et plus il y a d’éléments différentiels, plus il y a d’éléments d’activité, et finalement de plaisir[1]. Chaque fait apporte avec lui une marque propre, une activité, une part d’agrément ; il y a du plaisir non seulement dans toute volition, mais dans tout fait de conscience : donc, augmentez le nombre des faits qui composent un objet de volition, et dans la même mesure, il va sans dire, s’augmentera la somme d’agrément. Ainsi, au lieu d’une perception élémentaire, obtenez une perception complexe, par exemple une perception esthétique où se combineront des couleurs ou des sons en grand nombre, et vous aurez évidemment un plaisir plus grand. Tel est le détour que nous proposons et que justifie suffisamment notre philosophie générale : encore une fois, il nous permet d’évaluer quantitativement le plaisir par la substitution du nombre des faits à l’intensité de chaque fait.

Mais sommes-nous beaucoup plus avancés ? S’il n’y a pas impossibilité logique à compter les faits qui composent un objet de volition, n’y a-t-il pas en revanche impossibilité pratique ? Certes, ce n’est pas une opération que l’on puisse faire directement pour chaque cas particulier. Mais on peut la mènera bonne fin par la voie déductive. Il faut tout d’abord fixer des catégories générales de valeurs. La psychologie nous offre une classification des principales fonctions qui entrent en jeu dans la recherche du plaisir : commençons par faire porter sur ces fonctions les distinctions quantitatives qui doivent donner lieu à une subordination. Après cela, nous passerons aux cas particuliers. Ce n’est pas là d’ailleurs un pis aller ; au contraire, nous obtiendrons plus sûrement de cette manière ce qu’on a appelé à tort l’objectivité, et en tout cas la fixité, l’universalité, dans l’évaluation des valeurs. En procédant ainsi dans l’abstrait, d’après la seule considération de fonctions déjà scientifiquement définies, nous

  1. Le Phénomène, p. 179.