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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

la coordination des faits ? Comporte-t-elle une coordination quelconque ? Si oui, quelle est l’ampleur de cette coordination ? Voilà ce qu’il faut se demander. La fonction qui comporte la plus ample coordination est aussi celle qui, à circonstances équivalentes de préparation et de succès, permet d’arriver à la plus grande quantité de plaisir.

Il ne nous semble pas nécessaire maintenant d’insister sur la réserve qui vient d’être introduite. Elle nous paraît parfaitement conforme aux conditions ordinaires de la science. Il va sans dire que la science pratique, comme toute science, doit placer les choses dans l’abstrait. Du moment qu’elle veut établir des classifications, il faut qu’elle ne tienne pas compte des particularités de circonstances. Sans doute, on peut tirer plus de plaisir, par exemple des sensations organiques que des spéculations scientifiques ; cela dépend de la culture préalable qu’on a reçue ; et comme la culture scientifique de la plupart des esprits est insuffisante, comme elle ne s’obtient pas du premier coup, comme elle demande un travail prolongé dont rien ne dispense, ni fortune, ni heureuses circonstances, un travail qui non seulement n’est pas permis à tous, mais encore n’est pas du goût de tous, on est en droit de dire que souvent le plaisir organique l’emporte sur le plaisir scientifique. Il n’en est pas moins vrai que le dernier peut être de beaucoup plus considérable que le premier. À circonstances équivalentes de préparation et de succès, comme nous l’avons dit, il lui est supérieur. Le maximum de l’un est de beaucoup plus élevé que le maximum de l’autre. C’est tout ce que la coordination pratique doit établir.

Telle est la règle du bien : l’ampleur de la coordination, le degré d’intelligibilité, le nombre des faits qui composent l’objet de la volition. Nous regrettons de ne pas en esquisser ici quelques grandes applications ; mais, puisqu’il faut se borner, nous croyons plus important d’indiquer encore les deux sens que comporte son emploi, et dont la distinction a trop souvent manqué à la philosophie pratique : celui de l’urgence et celui de la supériorité en valeur propre. — Remarquons d’abord que ces deux sens ne concordent pas nécessairement. Il n’est pas nécessaire que les choses les plus urgentes soient aussi celles qui ont le plus de valeur en elles-mêmes. Tel objet peut être plus urgent qu’un autre par cela seul qu’il a un rôle conditionnant plus étendu. Par exemple, manger quand l’organisme le réclame est plus urgent que se livrer à des spéculations scientifiques : ce n’est pas que ce soit supérieur en soi, mais c’est que manger est la condition de beaucoup d’autres choses, de la spéculation scientifique elle-même. En définitive, on peut le poser comme