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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

c est-à-dire les déclarer supérieurs ou inférieurs, ceci concerne ce qui doit être, et non ce qui est, l’avenir et non le présent ; quand on juge supérieur ou inférieur ce qui est, c’est à la suite d’une transposition de l’avenir dans le présent. Elles n’ont pas non plus à prendre des précautions pour le maintien de leurs coordinations dans l’avenir : si leurs objets venaient à changer, elles devraient changer elles aussi, mais cela même n’est pas possible, attendu qu’elles n’ont affaire, dans ce qui est, qu’à l’élément ressemblant, stable, des choses. — Au contraire, la philosophie pratique non seulement doit régler ses objets sur le fondement qu’elle a préalablement fixé, mais encore doit assurer cette régularisation pour l’avenir. La mise en ordre des volitions n’est point achevée tant qu’elle n’est pas garantie contre des variations futures. Comme elle porte sur ce qui sera, il faut bien que l’avenir soit fixé par elle. Il est vrai qu’elle trouve dans sa valeur des chances de durée, et qu’elle doit s’imposer aux volitions en raison de ce qu’elle procure. Entreprise au nom et en vue du plaisir, comment serait-elle mise en échec par le plaisir des volitions futures ? Ne serait-ce pas contradictoire ? Mais justement, par le fait même que nous avons affaire en dernier ressort au plaisir, nous sommes en présence d’un élément imprévisible de variation. Avec le plaisir, on ne saurait parler de contradiction, car on ne saurait davantage parler d’accord logique. Nous l’avons déjà dit et nous y reviendrons plus tard, le plaisir reste inaccessible à la science, sauf dans son extrême généralité. Aussi bien n’est-ce pas son intelligibilité que nous avons décidé de considérer pour établir des subordinations régulières, mais celle des objets où il se trouve. Et, de même qu’il ne se laisse point pénétrer, il ne se laisse point prévoir. C’est l’absolu dans la vie affective, la liberté[1] dans la vie pratique. On peut donc fort bien admettre qu’il se dérobe à la coordination faite en son nom. Dès lors, l’autorité de la coordination reste purement idéale ; que dis-je ? du moment qu’elle peut être rejetée par le plaisir, elle disparaît ; l’anarchie reprend aussitôt le dessus dans la conduite, et la philosophie pratique a manqué son but. — Mais comment assurer les coordinations pratiques pour l’avenir ? En en faisant un objet de commandement, d’obligation. Et c’est ainsi que nous allons essayer de donner satisfaction sur ce point aux moralistes de l’impératif, après avoir donné satisfaction aux idéalistes

  1. La liberté et le plaisir sont d’ordinaire soigneusement distingués, et même opposés. Distingués en quelque mesure, c’est avec raison ; opposés, c’est à tort. Au fond, c’est le même élément à des moments différents du phénomène. Nous croyons l’avoir suffisamment prouvé dans notre ouvrage le Phénomène, particulièrement dans le 3e chapitre de la première étude.