Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
revue philosophique

pour ce qui concerne la règle, et aux utilitaires pour ce qui concerne le fondement du bien. En somme, ce sera bien la nôtre, cette « morale du devoir » que M. Renouvier définit ainsi : « elle pose un impératif absolu (nous ne dirions pas absolu, mais ce mot est ici sans importance), soustrait à l’influence des hypothèses variables que l’agent moral peut faire sur l’utile et le nuisible, pour les particuliers ou pour la société tout entière, impératif élevé d’autre part au-dessus des attraits et des répugnances que comportent les dispositions égoïstes ou altruistes existant de fait chez chaque individu. »

Toutefois, ce n’est pas assez de prononcer un mot, il faut encore trouver pour ce mot un sens intelligible à notre point de vue et suffisant pour le rôle que nous avons indiqué. Et aussitôt les métaphysiciens de nous dire : Vous n’y réussirez pas. — D’abord, on nous conteste la possibilité, au point de vue strictement phénoménal, d’éprouver un intérêt quelconque pour ce qui aura lieu dans l’avenir, et par conséquent de nous occuper sérieusement d’une obligation qui justement doit assurer l’avenir de la coordination pratique. Une fois les faits actuels disparus, dit-on, que les autres s’arrangent : leur plaisir meurt avec eux ; ils n’ont pas à se soucier de celui des autres. Mais on oublie, en parlant ainsi, que dans le présent rentre la conception du plaisir futur, et qu’à chaque volition est lié par anticipation, idéalement, mais positivement néanmoins, le bénéfice avenir de la coordination pratique. — « Une obligation, dit-on encore, ne se conçoit pas sans un être qui oblige, une loi suppose un législateur, une sentence suppose un juge. » Assurément, répondons-nous ; mais pourquoi ce juge, ce législateur, cet être qui oblige (il faudrait encore s’entendre sur ces noms), seraient-ils nécessairement d’ordre ultra-phénoménal ? En quoi l’ultra-phénomène aurait-il des droits sur ce qui se passe dans le phénomène ? En parlant de l’ultra-phénomène, ne penseriez-vous qu’à Dieu et identifieriez-vous Dieu avec le bien, il vous resterait toujours à montrer la légitimité et la réalité du commandement que vous lui rapportez. Si Dieu oblige simplement parce qu’il est Dieu, nous restons devant un mystère dont rien ne nous garantit la valeur ; et s’il oblige parce qu’il est identique au bien, et que le bien impose une obligation, pourquoi le bien ne nous obligerait-il pas directement, et qu’avons-nous besoin en cela de Dieu ? — Mais, insiste-t-on, « comment la loi morale pourrait-elle commander à la volonté, si elle n’était qu’une conception de l’esprit humain ? » Nous ne le comprenons pas, en effet, et ce n’est pas là ce que nous entendons proposer. Mais nous ne comprenons pas non plus comment un commandement extérieur, même divin, pourrait s’imposer à la volonté. C’est de la sphère de