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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

l’action pratique que l’obligation doit provenir. Le commandement extérieur, quel qu’il soit, n’a pas de valeur et d’efficacité par lui-même ; il n’oblige que par l’intermédiaire de la volonté à laquelle il s’adresse et qu’en tant que celle-ci veut bien l’agréer : c’est dire qu’il n’oblige pas. En réalité, ce commandement est une simple indication, ou un rappel, sous forme solennelle, soit d’une valeur à prendre en considération, soit d’un désagrément souvent d’ordre inférieur à éviter ; ce n’est pas une véritable obligation, car il lui manque ce qui caractérise l’obligation, la force contraignante, le fiat direct, positif et efficace.

Nous contenterons-nous donc de dire avec Kant que la volonté s’oblige elle-même ? Cela ne suffirait pas. Si, d’une part, l’obligation doit venir de la sphère de l’action pratique, c’est-à-dire de la volonté, d’autre part elle ne doit pas venir du même terme qui la subit. N’oublions pas que la fixité de la coordination est ici en cause, et que par conséquent l’obligation doit porter du présent sur l’avenir, doit lier l’un à l’autre. Si donc l’obligation avait lieu dans un seul terme, il ne devrait plus être question à son sujet que du présent, et elle serait inutile pour le but visé. En outre, elle ne serait pas intelligible. De même que la causalité ne s’entend pas sans deux termes, la cause et l’effet, de même l’obligation demande la distinction de l’obligeant et de l’obligé. On ne saurait s’obliger soi-même. L’expression est admise dans le langage courant, mais elle ne comporte aucun sens acceptable en philosophie. Au moins faudrait-il procéder à un dédoublement de la volonté : mais alors on devrait renoncer à une obligation de soi-même à soi-même ; en réalité, on obtiendrait l’obligation d’une volonté à une autre volonté. — Et de fait, c’est bien une obligation de ce genre que nous allons proposer. À notre point de vue phénoméniste, elle se comprend fort bien. La volonté n’étant pour nous qu’un abstrait, celui des diverses volitions qui se succèdent dans la vie psychique, il ne nous est pas difficile de trouver la multiplicité des termes dont il a été question. Nous pouvons dire que l’obligation a sa source dans une volition imposant la coordination pratique aux volitions futures. Ainsi, nous ne sortons pas du domaine scientifique, et pourtant nous comprenons ce que nous disons. C’est bien dans la sphère de l’activité pratique que l’obligation prend son origine ; mais comme nous y trouvons, au lieu d’un seul agent moral, une succession d’agents correspondant à la succession des volitions, il est possible de distinguer entre le terme qui oblige et le terme obligé, et par conséquent d’obtenir une véritable obligation.

Demandera-t-on maintenant comment une volition peut en obliger