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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

dit, il ne suffît pas de distinguer différentes contraintes : quelles qu’elles soient, les contraintes sont toujours des contraintes. « Forcés » ou simplement « tenus d’accomplir le bien », dans les deux cas, c’est une détermination que nous subissons. Dans la mesure où nous sommes obligés, nous perdons notre liberté. Et la philosophie pratique ne s’en inquiète pas, au contraire. Encore une fois, quelle est la raison d’être pratique de l’obligation ? Assurer l’avenir de la coordination, prévenir les variations qu’y pourraient apporter sans motif rationnel les volitions futures, nous mettre en garde contre l’inconstance du plaisir. Et qu’est-ce que cela, sinon restreindre, mettre en échec, la liberté ?

D’ailleurs, hâtons-nous de dire que la liberté ne saurait céder la place à l’obligation sur tous les points. — Et d’abord, on la trouve au début de la coordination pratique. C’est bien en effet une œuvre de liberté que l’entreprise et l’acceptation de cette coordination qui met ensuite la liberté en échec. Quoi qu’on en ait dit, il n’y a pas d’obligation fondamentale et primitive à être moral. On l’est parce qu’on le veut bien, à ses risques et périls. Forcément, il est vrai, nous nous trouvons devant cette question : devons-nous mettre de l’ordre dans nos volitions, dans notre conduite ? Et, en fait, personne, ou à peu près personne, ne répond négativement. Tout le monde organise sa vie pratique (cela même, c’est la rendre morale), ceux qui ne veulent que le plaisir comme les autres. Seulement on l’organise sur une plus ou moins grande étendue, d’une façon plus ou moins serrée, selon que la réflexion permet de comprendre les avantages de ce travail, et surtout selon les décisions de la liberté. Oui, quelle que soit la morale que l’on propose, on ne peut obliger les gens à y acquiescer, et ils ne peuvent s’y obliger eux-mêmes. S’il s’agit de la recherche rationnelle du plaisir, ils sont toujours en droit de déclarer qu’ils préfèrent le plaisir indépendant de l’organisation morale au plaisir obtenu conformément à cette organisation. S’il s’agit d’une autre recherche, ils peuvent toujours réclamer à sa place la poursuite exclusive du plaisir. Il y a sans doute des raisons scientifiques pour accepter la vie morale, et des raisons tirées du plaisir lui-même : qui contestera que la coordination pratique écarte de nombreuses douleurs, prolonge les joies, bref réponde aux besoins fondamentaux de notre être ? En vérité, la légitimité d’une vie coordonnée n’apparaît jamais avec plus d’évidence que lorsqu’on prend le plaisir pour point de vue central. Mais enfin, que peuvent ces raisons devant un plaisir contraire ? Nous l’avons déjà rappelé, le plaisir échappe à la science et aux raisons. Il est ce qu’il est, il dirige la volonté comme il la dirige, sans qu’on puisse invoquer contre lui un accord ou un