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désaccord logique. Il représente dans la vie affective l’indéterminé, l’insondable, l’absolu (oui, cet absolu que Kant a attribué à tort à l’obligation morale), et par conséquent la liberté. — Et ce n’est pas seulement au début de la conduite morale que la liberté joue un rôle important ; c’est aussi dans la suite, c’est toujours. L’obligation, ainsi que la détermination causale en général, reste en tout état partielle, limitée par son opposé dont elle ne se sépare jamais. Devant ses empiétements croissants, la liberté recule, mais sans cesser d’être. Et voici les différents résultats de son intervention. Ou bien l’obligation est acceptée par la liberté, soit en son objet particulier, soit plutôt en elle-même et sans égard pour son objet, comme les ordres du maître sont agréés sans examen par le serviteur : et dans les deux cas, l’obligation trouve en la liberté un auxiliaire, sans lequel peut-être elle n’aurait pas suffi à produire la volition morale. Ou bien l’obligation est mise en échec par la liberté, et la volition prend, en face de la coordination morale, une direction indépendante ou contraire : mais, ici encore, il faut distinguer deux cas, celui du mal moral, et celui que nous allons justifier tout à l’heure, où la volition n’échappe à l’obligation que pour s’élever dans la sphère du bien libre ou absolu.

Ces réserves en faveur de la liberté achèvent de préciser le rôle que nous attribuons à l’obligation dans la philosophie pratique. On le voit, il est suffisant, sans être exclusif. Il maintient l’ordre dans les volitions, tout en laissant une place importante à la liberté. Il répond à ce qu’il y a de juste dans les idées ordinairement reçues, en même temps qu’aux légitimes exigences de la coordination morale. Et cependant, c’est dans un monde strictement phénoménal, et au nom de la science proprement dite, qu’il se justifie. Au delà, on ne trouverait pas pour lui de meilleure explication ; on n’en trouverait même pas de satisfaisante.

IV

Et la sanction du bien ! Selon nous, elle ne donne pas lieu à un principe distinct et nouveau ; nous ne pouvons pourtant pas la passer sous silence. C’est à cause d’elle, on le sait, que Kant a tourné sa pensée jusque-là à peu près indépendante vers les affirmations ultra-phénoménales, et il faut se demander avec lui si, sans ces affirmations, la loi morale risquerait de porter dans le vide, si elle serait « fantastique, dirigée vers un bût vain et imaginaire, par conséquent fausse en soi ». Ce n’est pas notre avis. — D’abord, si l’on prend le mot sanction en son sens primitif, s’il n’est question que du caractère