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ANALYSES.a. dumont. Dépopulation et civilisation.

si sa passion antichrétienne[1], surprenante d’ailleurs à ce degré dans un esprit de cette largeur et de cette élévation, ne l’avait empêché de concevoir une telle préoccupation. Pour avoir le droit de nier l’évidence même, pour fermer les yeux, par exemple, sur l’instructive comparaison entre la Bretagne et la Normandie, entre la fécondité du Breton croyant quoique prévoyant, et la stérilité du Normand incrédule[2], il ne suffit pas de dire que le christianisme tend à remplir les couvents, à éloigner les jeunes gens du mariage, à remplacer le type maternel des vierges robustes de la Renaissance par celui des vierges de Lourdes, sans enfants sur les bras, « perchées sur des jambes d’un grand tiers trop longues, n’ayant ni hanches ni poitrine, et au bassin si étroit qu’il ne saurait donner passage à la tête d’un enfant de race supérieure ». Il ne suffit pas même de faire observer, avec raison du reste, que, à notre époque de foi déclinante, même chez les plus dévots, la peur de pécher en ne se conformant pas à la recommandation de croître et multiplier ne saurait l’emporter souvent sur la crainte de s’imposer des privations en obéissant à cet ordre divin mais ruineux. C’est peut-être, au contraire, précisément parce que la foi religieuse s’est affaiblie qu’elle produit sur la natalité les bons effets constatés par la statistique. La religion est un poison et un virus, soit ; mais M. Dumont ne sait-il pas qu’il est dans la nature des virus et des poisons de devenir remèdes en s’atténuant ? Je suis porté à croire que, en sa ferveur initiale, le christianisme, inspirant l’horreur de la génération charnelle, a dû activer et non ralentir la dépopulation de l’empire romain et même pins tard celle du moyen âge en certains pays ; logiquement, il pousse au célibat. Mais, chose étrange quoique certaine, son effet pratique, contraire à sa conséquence logique, est de rendre le mariage fécond. Pourquoi cela ? La réponse à cette question n’est pas pour déplaire, je crois, à M. Dumont. La fécondité plus grande des familles où s’est conservé l’esprit chrétien, ne provient pas seulement, ni surtout, de ce qu’elles sont préoccupées du multiplicamini biblique, mais bien de ce qu’elles ont gardé une foi vague en la Providence nourricière des petits oiseaux, et qui « bénit les nombreuses familles ». À vrai dire, notre catholicisme atténué, mitigé de scepticisme, réduit à une sorte de traditionnalisme moral, familial et social, agit surtout comme gardien de l’esprit de coutume, de l’esprit d’attachement aux mœurs des aïeux. Son influence directe, dérivée de ses dogmes, peut être fâcheuse ; mais elle est peu de chose, comparée à son influence indirecte exercée par les traditions dont elle a pris la garde pour se soutenir dans sa faiblesse, et qui se

  1. Elle éclate souvent par des phrases telles que les suivantes : « Le christianisme, devenu catholicisme, puis cléricalisme, est la machine à énervement la plus parfaite que l’esprit pervers du mal et des ténèbres ait jamais inventée. » (P. 509) « Les relations habituelles des jeunes gens des deux sexes sont le remède le plus efficace contre l’ivrognerie, le cléricalisme, le progrès des naissances naturelles. »
  2. V. l’Irréligion de l’avenir à ce sujet, p. 274.