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NE JOUEZ PAS AVEC LES POIGNARDS.

« Rendez son poignard à cet homme, dit-il à son hôte, et rentrons.

— Quelle lame ! » disait avec admiration le grand seigneur ; et l’agitant dans sa main, il la faisait reluire à la lueur des éclairs.

« Je veux ce poignard, dit-il enfin d’une voix impérieuse au vieillard. Fais ton prix, vends-le moi ! »

Son ton n’était pas celui d’un acheteur, mais d’un homme qui peut prendre et qui va prendre ce qu’il se croit bien bon de consentir à acheter. C’était un ordre, et comme le vieillard cependant se taisait, le fantasque seigneur ajouta :

« Vends-le moi ; l’argent remplace tout.

— Tout ! répondit le vieil Ukrainien d’une voix qui s’efforçait de rester calme. Quoi ! même l’honneur ! même la liberté !

— Eh ! oui ! s’écria le noble seigneur, même ce que tu appelles l’honneur et ce que vous appelez, vous autres, la liberté ! »

Regardant alors en face le faux vieillard et répondant sans vergogne à la pensée que la question du prétendu musicien venait de lui dévoiler :

« Si l’Ukraine, sous la main des Russes, devient riche, elle ne se souviendra pas longtemps qu’elle a été fière et libre. »

Au moment où il prononçait cette parole impie, le ciel se fendit sous les éclats d’un tel coup de tonnerre que toutes les personnes qui étaient sur la