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MAROUSSIA.

— Oui, je le vois, répondit-elle.

— Il est grand, n’est-ce pas, ce village ?

— Oui, il me paraît grand.

— Eh bien, plus un village est grand dans notre malheureuse Ukraine, plus il s’y trouve d’épouses, de mères, de sœurs et de fiancées, d’enfants aussi qui pleurent, car, par ce petit chemin et par d’autres, leurs maris, leurs fils, leurs frères et leurs fiancés s’en sont allés en guerre, et personne ne saurait dire combien il en reviendra. Ces temps sont durs entre tous les temps. Maroussia, le comprends-tu ?

— Si je le comprends ! » s’écria-t-elle.

Ils marchèrent encore longtemps, mais en silence.

La forêt, qu’on voyait au loin s’étendre comme une masse bleue, commençait, à mesure qu’on s’en approchait, à reprendre sa belle couleur verte. On apercevait sur la lisière la verdure foncée des chênes et le feuillage plus clair des bouleaux.

« Nous sommes arrivés, dit le grand ami en écartant les branches et en pénétrant dans le taillis. Nous trouverons tout à l’heure un fourré, où nous ferons une nouvelle halte. »

Le fourré n’était pas si facile à trouver. La forêt était tellement épaisse qu’il était presque impossible d’avancer. Sans parler des branches qui fouettaient la figure, des épines qui arrachaient les habits, accrochaient les cheveux, égratignaient et déchiraient, et des troncs d’arbres pourris qui, couchés