Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 079

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 169-171).

79.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 26 mars 1770.

Votre Lettre, mon cher et illustre ami, me donne beaucoup de chagrin et d’inquiétude en m’apprenant le dérangement de votre santé ; je vous exhorte et vous conjure, par le vif intérêt que je prends à votre conservation, de ne rien négliger de ce qui pourrait contribuer à vous rétablir. Je crois que le régime et surtout la cessation de toute sorte de travail sont les meilleurs remèdes dont vous puissiez user ; mais il me semble que rien ne vous ferait autant de bien qu’un voyage : j’en parle d’après ma propre expérience. Le bruit court ici que vous devez nous venir voir cet été ; quoique vous ne m’en disiez rien dans votre Lettre, je suis cependant porté à le croire, non-seulement parce que je le souhaite beaucoup, mais parce que je me rappelle que vous m’en avez, en quelque manière, donné votre parole il y a deux ans ; je vous prie de me dire ce que vous avez résolu à cet égard, et, si c’est un secret, vous pouvez être assuré que je n’en laisserai rien transpirer. Je suis bien aise que vous ayez enfin reçu ce paquet, que je croyais déjà perdu.

J’ai vu, par une Lettre du marquis de Condorcet, que vous lui avez remis l’exemplaire de mes Mémoires que je lui avais destiné ; je vous remercie de cette complaisance aussi bien que de celle que vous avez eue de faire remettre à M. de la Condamine le Volume de 1766. J’ai remis, il y a quelque temps, celui de 1767, avec un Mémoire imprimé de M. Beguelin sur les lunettes achromatiques et quelques remarques manuscrites de sa façon sur votre dernier Mémoire, au secrétaire de M. le comte de Czernichew, ci-devant ambassadeur de Russie à Londres, lequel est parti pour Paris et s’est chargé de vous remettre le tout avec la plus grande ponctualité possible. Le Volume de 1763, qui était le seul des arriérés qui manquait encore, est imprimé et va paraître dans peu il ne contient rien de moi, parce que j’ai été obligé de faire place aux Mémoires de M. Euler qui restaient encore ; cependant j’y ai fait insérer le vôtre, non pas le dernier, qui est arrivé trop tard, mais le précédent. Je vous enverrai ce Volume par la première occasion que je pourrai trouver : On va mettre incessamment sous presse le Volume de 1768, où je compte insérer deux Mémoires de ma façon, dont l’un contient des additions considérables à celui que j’ai donné sur les équations numériques, et dont l’autre renferme une nouvelle méthode pour la résolution des équations littérales par le moyen des séries, matière presque aussi rebattue que l’autre, mais que j’ai traitée d’une manière nouvelle et qui ne laisse presque rien à désirer. J’ai, outre cela, une douzaine de Mémoires, qui ont déjà été tous lus à l’Académie, mais que je désespère de pouvoir faire imprimer dans les Volumes ordinaires, de sorte que je vais tâcher de m’arranger avec quelque libraire pour les publier séparément. Au reste, je ne manquerai pas, au risque de devoir laisser en arrière quelque chose de moi, de faire imprimer dans ce Volume votre dernier Mémoire sur les lunettes. Je vous prie de ne pas vous fâcher si j’ai refusé de prendre de M. Bitaubé le prix du Calcul intégral, qu’il a voulu me remettre de votre part ; ce n’est pas que je veuille insister davantage sur ce que je vous ai déjà dit à ce sujet ; mais, puisque vous voulez à toute force me rembourser de ces sortes de bagatelles, j’aimerais mieux que vous m’envoyassiez à votre tour quelqu’un des Ouvrages de Géométrie qui peuvent paraître chez vous, comme de l’abbé Boussut[1], ou de M. Bézout, ou d’autres. J’ai de ce dernier le Cours de Mathématiques jusqu’au second Volume de la Mécanique inclusivement ; s’il avait paru quelque chose depuis, je ne serais pas fâché de l’avoir.

Adieu, mon cher et illustre ami ; j’avais encore bien des choses à vous dire, mais il ne me reste de papier que pour vous embrasser et me recommander à votre souvenir.

À Monsieur d’Alembert, de l’Académie française,
des Académies royales des Sciences de Paris ; de Berlin, etc., à Paris
.

  1. Lagrange a écrit Boussut, suivant sa prononciation italienne.