Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 080

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 171-173).

80.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 10 avril 1770.

Mon cher et illustre ami, nous avons en effet, comme je vous l’avais fait espérer, proposé de nouveau le sujet de la Lune pour l’année prochaine, 1772[1] ; je dis prochaine, car ce prix ne peut se donner que tous les deux ans ; il devrait être triple, mais il ne sera que double, parce que, le prix étant déjà double cette année, nous avons cru devoir en donner la moitié à M. Euler pour plusieurs raisons : 1o parce qu’il y a beaucoup de travail dans sa pièce, quoique assurément il n’ait pas fait un pas en avant ; 2o parce que les autres pièces ne valent rien du tout et que, si M. Euler avait fait imprimer la sienne avant 1772 et que, par quelque raison de mauvaise santé, vous n’eussiez pas pu concourir, nous aurions pu être forcés de donner en 1772 le prix triple à une très-mauvaise pièce, car le testament de M. de Meslay, qui a fondé le prix, nous oblige de ne pas le remettre plus de trois fois. Par l’arrangement que nous venons de prendre, et que je suis fort aise d’avoir imaginé, nous pourrons, si nous voulons, ne donner le prix qu’en 1774, en cas que nous n’eussions encore rien de bon en 1772, ce qui vous donne beaucoup plus de temps et de facilité en cas que vous jugiez à propos de travailler. Quand vous ne seriez pas encore parfaitement content de ce que vous auriez fait en 1772, vous pourriez l’envoyer ; notre pis aller sera de remettre le prix en 1774, et pour lors il sera triple ; je dis notre pis aller, car je doute beaucoup que d’autres que vous puissent nous envoyer quelque chose de bon.

J’ai reçu, il y a peu de jours, le Volume de 1767, et j’ai remis celui de 1766 à quelqu’un qui doit le reporter vers la fin de mai à M. Formey. J’ai reçu aussi le Mémoire de M. Beguelin, dont je vous prie de le remercier de ma part. Comme ma tête est toujours très-faible, je n’ai fait que parcourir ses remarques manuscrites ; ainsi je n’en puis rien dire pour le présent, d’autant plus que je n’ai point de copie du Mémoire ou de la Lettre qui est l’objet de ces remarques. Cependant il me paraît en général que les calculs de M. Beguelin tendent

à confirmer ce que j’ai avancé, qu’il ne faut pas comparer l’aberration des télescopes avec celle des lunettes ordinaires, parce que les résultats ne s’accorderaient point.

Je vous adresse cette Lettre par la poste, afin que vous soyez plus tôt instruit de ce qui concerne le prix. Je ne vous en dirai pas davantage quant à présent, étant abattu de tristesse de l’état où je suis. Portez-vous mieux que moi, et souvenez-vous quelquefois d’un ami qui vous chérit autant qu’il vous estime.

P.-S. — Vous recevrez dans peu trois exemplaires de mon Traité des fluides, un pour vous, un pour M. Lambert et le troisième pour l’Académie.

À Monsieur de la Grange, directeur de la Classe mathématique
de l’Académie royale des Sciences de Prusse, à Berlin
.

  1. « L’Académie avait proposé pour le sujet du prix de 1768 de perfectionner les méthodes sur lesquelles est fondée la théorie de la Lune ; de fixer par ce moyen celles des équations de cette planète qui sont encore incertaines, et d’examiner en particulier si l’on peut rendre raison, par cette théorie, de l’équation séculaire du mouvement moyen de cette planète. N’ayant pas été satisfaite des recherches qu’elle avait reçues sur ce sujet, elle l’avait proposé de nouveau pour cette année 1770, avec un prix double. Quoique, dans le nombre des pièces envoyées, il s’en soit trouvé plusieurs remplies de recherches estimables, l’Académie n’a pas cru la question suffisamment résolue ; cependant, considérant la difficulté du problème, et ne voulant pas décourager les concurrents, elle a cru devoir récompenser le travail qui distingue surtout une des pièces, qui a pour devise : Errantemque canit Lunam, et, en conséquence, elle lui a adjugé la moitié du prix double. Les auteurs de cette pièce sont, conjointement, MM. Léonard Euler, associé étranger de l’Académie et membre de celles de Berlin et Pétersbourg, et Jean-Albert Euler, son fils. L’autre moitié du prix double est réservée pour la joindre à celui de l’année 1772, qui sera, par ce moyen, de 4500 livres, et l’Académie propose de nouveau la même question pour ce prix. » (Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1770, Histoire, p. 119-120.)