Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 110

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 253-254).

110.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 20 novembre 1772.

Mon cher et illustre ami, j’ai communiqué à M. Cassini, le fils, qui ne fait que d’arriver de la campagne, l’endroit très-obligeant de votre dernière Lettre qui le concerne, et il m’a chargé de vous en faire ses très-humbles remercîments. Votre approbation l’encourage autant qu’elle le flatte ; c’est un jeune homme plein d’ardeur et de bonne volonté.

Est-il bien vrai que vous ne soyez pas tout à fait mécontent des rogatons imprimés que je vous ai envoyés ? Je le souhaite plus que je ne l’espère, tant je me sens au-dessous du peu que j’ai été jadis. Ma tête devient de jour en jour plus incapable des recherches mathématiques ; des insomnies presque continuelles m’interdisent toute espèce d’application, et vous devez juger qu’il me reste bien peu de capacité à cet égard, puisque je n’ai point encore pu lire vos derniers Mémoires, auxquels je donnerai les premiers moments tant soit peu lucides que j’aurai. J’espère que la fin de mes rogatons sera imprimée dans deux mois au plus tard, et je ne tarderai pas alors à vous l’envoyer. En attendant, je vous invite fort à poursuivre ce que vous avez fait sur la figure de la Terre, ne doutant pas que vous n’alliez sur cela beaucoup plus loin que moi. Je voudrais bien aussi que tous les Mémoires dont vous me parlez fussent imprimés, et le fussent bientôt. Si vous le vouliez, j’en pourrais parler à Briasson, qui peut-être s’en chargerait ; mais je ne ferai rien, comme de raison, sans savoir si cela vous convient. Je tâcherai aussi de hâter l’impression des pièces couronnées depuis 1763, et il ne tiendra pas à moi qu’elles ne paraissent, comme vous le désirez. J’ai écrit à Bruyset ; je n’en ai point encore eu de réponse ; peut-être vous la fera-t-il à vous-même ; j’espère qu’en conséquence de ma Lettre il hâtera l’impression de vos remarques sur l’Algèbre d’Euler.

J’ai reçu le nouveau Volume de Göttingen et je vous en remercie. Il me semble qu’il ne contient pas grand’chose. M. de la Lande s’est chargé de vous faire parvenir, par l’occasion de ses envois à M. Bernoulli, le Volume de l’Académie de 1769, qui vous revient de droit comme associé étranger ; il vous enverra de même tout ce que l’Académie publiera, et auquel vous avez un droit égal. Vous ferez très-bien aussi de nous envoyer quelques Mémoires, et nous les imprimerons avec très-grand plaisir. Le marquis Caraccioli vous fait mille compliments ; nous parlons souvent ensemble de vous. Il m’a dit que votre santé n’était pas trop bonne ; comme vous ne m’en parlez pas, j’espère qu’il est mal instruit. Conservez-vous pour la Géométrie, qui a beaucoup plus besoin de vous que de moi ; je ne suis plus pour elle qu’un serviteur inutile. Je ne connais point vos réponses à mes observations sur votre Mémoire concernant les ressorts ; mais je ne me souviens plus même de ces observations, qui pourraient bien n’avoir pas le sens commun. Si vous pouvez me dire un mot de ces réponses, je tâcherai d’en faire mon profit, au cas que je ne devienne pas tout à fait imbécile. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur.

À monsieur de la Grange, directeur de la Classe mathématique
de l’Académie des Sciences, etc., à Berlin
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(En note : Répondu le 1er mars 1773.)